Extrait du livret / From the liner notes
Jordi Savall - Bellaterra, été 2006.
RENCONTRES AUTOUR D'UNE VIOLE
Aujourd’hui (trente ans après (un) premier
enregistrement réalisé en 1977*),
j’ai choisi de revenir à cette extraordinaire « Suitte d’un goût
étranger » et de l’enregistrer intégralement,
dans la totalité de ses 33 pièces, convaincu qu’elle nous offre
l’essence et la perspective la plus complète de l’art de Marin
Marais. Un art finalement libéré des ordonnances classiques, la «
Suitte » n’a pas de Prélude et elle compte seulement douze danses,
et encore des danses très particulières ; Allemande pour le sujet et
gigue pour la basse, Allemandes « l’Asmatique, la Singulière (a 3),
la Bizare, la Superbe », Gigue « la Caustique ». Marais abandonne
aussi la tonalité de base, et comme dans Le Labyrinthe il nous
invite à nous promener dans les tonalités les plus variées et
extrêmes pour l’époque; de mi bémol majeur à fa dièse majeur, en
passant par mi (naturel) mineur, mi majeur, sol majeur, do majeur,
la mineur, la majeur, ré majeur, ré mineur, fa majeur, fa mineur et
fa dièse mineur. Cette suite nous présente une étonnante variété
d’expressions allant des émotions les plus simples et ironiques (La
Tourneuse, la Sauterelle), rustiques (Feste Champêtre, Muzette) et
complexes (Caprice ou Sonate, la Minaudière), aux plus sophistiquées
(Le Labyrinthe, L’Arabesque), spectaculaires (La Marche Tartare, Le
Tourbillon), et secrètement émouvantes (La Reveuse, L’Amériquaine),
jusqu’au Badinage final très mystérieux et assez
nostalgique malgré son titre.
* ASTRÉE - E
7727 (1997) et NAÏVE 9932
ENCOUNTERS AROUND A VIOL
Now (thirty years after that original recording in 1977*),I have decided to return to the extraordinary “Suitte d’un
goût étranger” and record it in its entirety, with all its 33 pieces,
in the conviction that it is here that we find the true essence and
the fullest expression of the art of Marin Marais. It is an art
finally freed from the traditional rules. This “Suitte” has no
Prelude and consists of only twelve dances – and very unusual dances
they are, too: Allemande for the subject and Gigue for the bass
line, Allemande l’Asmatique, Allemande la Singulière (for 3 parts),
Bizare, Superbe, Gigue la Caustique. Marais also departs from the
basic key and, as in Le Labyrinthe, he leads us through a wide
variety of keys that are unusual for the period: from E flat major
to F sharp major, including E (natural) minor, E major, G major, A
major, C major, A minor, A major, D major, D minor, F major, F minor
and F sharp minor. It offers an astonishing variety of emotions,
ranging from the simplest and most ironic (La Tourneuse, the
Sauterelle) and rustic (Feste Champêtre, Muzette) to the complex
(Caprice and Sonate, the Minaudière) and highly sophisticated (Le
Labyrinthe, L’Arabesque), as well as the spectacular (La Marche
Tartare, Le Tourbillon) and the intimately moving (La Rêveuse, L’Amériquaine),
and, in spite of its title, the intensely enigmatic and nostalgic
concluding Badinage.
Analyste: Julie
Anne Sadie
Condensé (traduction libre):
Julie Anne Sadie écrit au sujet de cet enregistrement de l'intégrale
de la "Suitte d'un Goût Étranger" que "... la maîtrise de la
viole dont fait preuve Savall est irréprochable".
Au sujet de cette pièce intitulée "Le Labyrinthe", qui est en
fait la plus longue de la suite, elle écrit: "Savall la connaît
tellement bien qu'il semble l'interpréter en suivant une stratégie,
tout comme un coureur de marathon."
Madame Sadie accueille fort bien cet enregistrement mais exprime
toutefois une réserve. "Les auditeurs, écrit-elle, noteront
peut-être toutefois avec consternation (dismay) le son trop sec de
la viole solo de cet enregistrement, en contraste avec les autres
instruments d'accompagnement qui sont plus résonants..."
"Néanmoins, ... dans "Le Tourbillon" fugace, dans "L'Allemande
l'Asmatique", "L'Arabesque" et la toute dernière "Le
Badinage", le ton éphémère, argenté de Savall convient tout à
fait à cette musique".
Elle conclut en ces termes: "Nous devons lui être reconnaissants
d'avoir enregistré cet admirable odyssée musicale".
Julie Anne
Sadie writes about this recording of the 33 pieces of the Suitte
d'un Goût Étranger that "... Savall's command of the viol
cannot be faulted".
About the piece entitled "Le Labyrinthe - IV.74",
which is the longest one of this Suite, she writes "Savall
knows it so well and seems to play according to a strategy, like a
marathon runner".
Being altogether eulogistic about the
recording, she has one reservation. "Listeners may, however, note
with dismay the unduly dry sound of the solo viol in the recording,
in contrast to the more resonant continuo instruments ..."
"Yet ... in the fleeting "Tourbillon", the short-breathed "Allemande
l'Asmatique", "L'Arabesque" and the concluding "Le
Badinage", Savall's silvery, ephemeral tone undeniably suits the
music".
Julie Anne Sadie concludes in the following terms: "We must be
grateful to him for recording this remarkable musical odyssey."
"This
is repertoire Savall has grown up with, grown through indeed, and to
which he returns with enthusiasm enflamed.It’s not hard to see why.
With its piquant character pieces the Suitte is a gift to a
performer with Savall’s instinctive flair – from the raspy wheeze of
the ‘asthmatic’ Allemande to the gruff swagger of the ‘Marche
Tartare’, the quasi operatic scena of ‘Le Labyrinthe’ to the frothy
intercourse of ‘Le badinage’. He’s not afraid to include percussion
in a continuo. Thus does the ‘Feste Champêtre’ twinkle, thrumming
guitar enriching the mix. Savall takes the technical difficulties in
his
stride; there’s no hint of strain. Above all, despite Savall’s
pivotal role, you quickly sense that here are a group of musicians,
perfectly attuned to the music in hand, putting their rehearsal
pencils to one side, and letting their hair down".
Analyste: Gaëtan
Naulleau
Résumé ou abrégé:
Adoptant un ton très jubilatoire, Gaëtan Naulleau n’a
que des éloges pour cet enregistrement de la « Suitte d’un goût
étranger » de Marais. Entendez ici ‘étrange’, inattendu, inouï,
nous précise Naulleau. D’entrée de jeu, écrit-il, c’est cette
Marche tartare qui nous « … montre du doigt les mondes
imaginaires que l’on traversera durant près de deux heures, elle
ouvre grand l’espace qui sépare le bien-dire et l’évocation, la note
et sa résonance. »
Poursuivant son appréciation de l’une et l’autre des pièces, il
écrit : « Il y a de la magie dans cette Sauterelle qui n’est
plus que geste, dans cette Fougade qui n’est que
frémissements, dans ce Badinage murmuré, qui s’est dépouillé
de tout contour ».
Il poursuit : « Une Rêveuse si grave peut dérouter. Savall ne
montre absolument rien, laisse notre ‘regard’ plonger peu à peu dans
la quasi-obscurité, sur les rêves amers de la belle endormie ».
Gaëtan Naulleau is very eulogistic
about this recording of Marin Marais’ « Suitte d’un goût
étranger”, meaning in fact ‘strange’, unexpected, unbelievable says
Naulleau. Right
from the beginning,
he writes, it is the Marche tartare which “… points out at
those imaginary worlds that we are about to visit for the next two
hours, it leaves wide open the space which separates the well said
and the evocation, the note and the resonance.”
Pursuing with his appreciation of one or the other piece, he writes:
“This Sauterelle is true magic, barely a gesture, and this
Fougade is full of quivering sensitivity. This Badinage
is pure murmur, deprived of all contour.”
”Such a grave Rêveuse may lead one astray, Savall doesn’t show
anything, he lets us penetrate gradually into virtual darkness, deep
into the bitter dreams of the sleeping beauty.”
Analyste: Serge Gregory Résumé ouabrégé: La revue Classica Répertoire a proclamé CD du
mois de novembre 2006 l’enregistrement de la « Suitte d’un Goût
Étranger » réalisé par Savall et certains de ses comparses de
toujours. Le chroniqueur Serge Gregory ne peut s’empêcher ici de faire
la comparaison entre l’enregistrement (partiel) de ces pièces réalisé
en 1977 et le présent enregistrement.
»Quels changements en trente ans? » écrit-il. « L’inspiration ?
intacte! La fougue accrue par les ans qui semblent rajeunir ce
sexagénaire… techniquement c’est inattaquable… Observez la maîtrise de
l’archet… »
Par ailleurs Serge Gregory souligne la contribution émérite des
compagnons que Savall a sollicité pour contribuer à « sa » vision de
Marais : Andrew Lawrence-King, harpiste, Pedro Estevan,
percussionniste, Rolf Lislevand, théorbe et Xavier Diaz-Latorre,
guitariste.
Il conclue son appréciation en ces termes : « Bref, dans ce répertoire
qu’il pratique depuis si longtemps et qu’il connaît comme s’il en
était lui-même l’auteur, Savall nous emporte littéralement. »
The French
magazine Classica Répertoire has proclaimed this recording of Marais’
« Suitte d’un Goût Étranger” by Savall and his companions as the
recording event for the month of November 2006.
In his review, Serge Gregory cannot avoid comparing this recording
with that of 1977. At the time, Savall had recorded 11 of the 33
pieces of Marais’ “Fourth Book of Pieces for the Viol, 1717”. (Astrée
- )
“What are the differences in this thirty year span?” “His inspiration?
Untouched! His passion? Increased by the years which seem to make this
sixty-six old musician younger. … we must admit that his physical
fitness is surprising… technically speaking it can’t be beaten, and
nothing here can diminish the pleasure derived from the music.”
Further on, Gregory mentions the meritorious contribution of those
musician-friends invited by Savall to partake in “his” vision of
Marais: Andre Lawrence-King, (harp), Pedro Estevan (percussions), Rolf
Lislevand (theorb) and Xavier Diaz-Latorre (guitar).
He concludes his review in the following terms: “In short, in this
repertory which he has been visiting for so many years and with which
he is so familiar as if he were the composer himself, Savall takes us
away literally.”
Analyste: Philippe van den Bosch Résumé ouabrégé: Dans un autre article signé Philippe van den
Bosch, Classica Répertoire souligne la qualité de l’enregistrement
sous l’angle de la prise de son. Ce chroniqueur écrit : La basse de
viole de Jordi Savall est restituée toute en finesse, avec une
précision hallucinante qui permet de saisir le râpeux de l’archet
sur la corde. On savoure l’expansion et la résonance du moindre son,
par exemple de corde pincée, dans l’espace, comme les dialogues avec
une deuxième basse de viole, soutenus avec une charmante variété par
diverses combinaisons instrumentales comportant théorbe, guitare,
harpe, percussions et un discret clavecin placé judicieusement en
retrait. Si le grave peut s’avérer ample et puissant, ce sont
surtout des climats feutrés, des inflexions délicates et subtiles
qui prévalent ici. »
Reviewer: Philippe
van den Bosch Abridged version :
In another article, Classica Repertoire evaluates
this recording from a technical point of view. Philippe van den
Bosch writes: “The sound of the bass viol of Jordi Savall is
reproduced with utmost finesse, with astonishing precision and this
allows one to hear all the harshness of the bow on the cords. We
appreciate the expansion and the resonance of each sound, for
example of a plucked cord, in space, as well as the dialogs with
another bass viol, accompanied by various instrumental combinations,
made up of theorb, guitar, harp, percussions and a very discreet
harpsichord, located very judiciously in he background.”
Goldberg
# 44
(02/2007)
Appréciation
Evaluation
Goldberg a cessé de publier
avec le # 54
~~~~~~
Goldberg is no longer available.
# 54 was the last issue.
Analyste: Brian
Robins
Résumé ou abrégé:
Brian Robins montre un enthousiasme mitigé pour cet enregistrement de
la « Suitte d’un goût étranger » de Marin Marais. Il questionne
surtout le choix de Savall d’utiliser un large éventail d’instruments
autres que la viole en guise d’accompagnement à certaines pièces de
Marais. D’après lui, l’utilisation du théorbe et de la harpe est
questionnable, mais il trouve surtout déplorable la contribution du
guitariste Xavier La Torre de même que l’intrusion dans certaines
pi`ces du percussioniste Pedro Estevan. Pour ce qui est de la
prestation de Savall, il la trouve excellente. Il écrit : « Le maître
(old master) est dans une forme exceptionnelle (vintage form),
interprétant ces pièces avec une vaste palette de nuances et de
couleurs qui nous séduit constamment, en fait, réussissant à faire
« parler » son instrument de telle façon qu’aucun autre gambiste ne
saurait le faire ».
Reviewer: Brian
Robins Full text:
Marais’ suite in an « unfamiliar style » forms the
second and more technically difficult part of his fourth book of
pieces for viola da gamba. Scored for between one and three viols and
continuo, it was published in 1717 and comprises of 33 pieces. Up
until now the most recommendable, if incomplete, version has been that
of Christophe Coin, a marvellous Decca recording on which he was
joined by Christophe Rousset and Vittorio Ghielmi in a generous
selection of 24 of the pieces on one CD. Savall’s new recording gives
us the complete suite, thus necessitating a second disc. Seasoned
Savall observers will hardly be surprised to learn that he favours a
more colourful array of continuo instruments than did Coin, finding a
place for not only a theorbist, but also a guitarist, Lawrence-King’s
harp and, on three tracks, even his ubiquitous percussionist Pedro
Estevan. In fact Estevan’s contribution is here relatively innocuous,
if superfluous; of more concern is the plucking of Diaz-Latorre’s,
which in a piece like “L’Amériquaine” detracts from Savall’s own
playing, particularly as the gambist brings such a delightfully light
touch to the piece. The old master is indeed on vintage form
throughout, playing with a range of expressive nuance and colour that
consistently beguiles, while he retains the ability to make his
instrument “speak” in a way not quite matched by any other gambist.
While Coin’s may be the purer concept, there is an irresistible sense
of magic in the air.
Venturini souligne l’excellente qualité de la prise de son de Manuel
Mohino qui, dit-il, « … permet … d’apprécier les infinies nuances
d’un jeu plus spontané que jamais. « … le trait virtuose,
ajoute-t-il, a acquis une souplesse qui ferait passer
l’interprétation pour l’improvisation, l’instrumentiste pour le
créateur… »
Venturini conclue en ces termes : « La technique si particulière de
Savall semble définitivement libérer le son de toute attache
physique et mène l’auditeur de l’autre côté du miroir : les mystères
du Labyrinthe, les songes étranges de La Rêveuse ou
les propos ambigus du Badinage restent de mémorables
expériences spirituelles. »
Venturini underlines the excellent workmanship of the sound
engineer, Manuel Mohino, which “… allows us to appreciate the
infinite nuances of Savall’s playing which is more spontaneous than
ever”. He adds: “… Savall’s virtuosity is now so smooth that one is
lead to believe that the interpretation is as if it were
improvisation, as if the performer were the composer…”.
Venturini concludes in the following terms: “ Savall’s technique is
so particular that it seem to free the sound from all physical bond
and leads the listener beyond the mirror: the mysteries of the
Labyrinthe, the strange dreams of La Rêveuse or the
ambiguous words of the Badinage remain memorable spiritual
experiences.”
Autres références disponibles via la base de
données de Todd McComb:
(Site: http://www.medieval.org)
Article fort intéressant à propos
de la viole de gambe: