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Appréciation d'ensemble: |
Outil de traduction (Très approximatif) |
Analyste:
Gaëtan Naulleau « Me libérer des liens de mes péchés », « Le dos du Christ aux couleurs pareilles au ciel », « Pressez‑vous, âmes corrompues », « Le ciel s'ouvre et le tombeau se referme ». Les bachiens assidus reconnaîtront dans cette partition hambourgeoise de 1712 plusieurs vers retaillés à Leipzig dans la Passion selon saint Jean de 1724. Bach suivait la mode, il faisait son marché dans le livret du poète Barthold Heinrich Brockes (1680‑1747) mis en musique par son ami Handel (1715), Telemann (1716), Mattheson (1719), Fasch (1723), Stölzel (1725) et bien d'autres. Tous expérimentaient le genre de l'oratorio de la Passion sur ce long dialogue allégorique entre l'évangéliste, la fille de Sion, Judas, Pierre, l'âme croyante et Jésus, qui se confie lors de véritables monologues d'opéra. Autour du récit biblique, les images innombrables déclinent obstinément l'enseignement: la mort du Christ est notre naissance, contraste propice à toutes les torsions rhétoriques du sentimental et du gore, de la grandiloquence et de l'intime. Keiser s'aventurait le premier en 1712 dans ce livret dont les échanges serrés reflétaient précisément les opéras en vogue à Hambourg, brillants kaléidoscopes de récitatifs, d'airs‑minutes et de brefs duos dont il était le champion. Sa Passion expose à l'interprète des problèmes qui ne se posent pas chez Bach, par exemple : comment soutenir la tension dans l'incessant va‑et‑vient entre l'action et les commentaires (près de cent numéros en deux heures trente) ? comment donner du sens à une ribambelle d'airs dont les caractères semblent parfois seulement esquissés ? Telemann affichera plus de contrastes francs et de drame (Jacobs en a fait son miel, HM), Stölzel se délectera d'harmonies et d'effets étranges (partition très inventive révélée par Ludger Remy, CPO), Mattheson se piquera de symboles: Keiser, à première vue, prône une élégante simplicité. C'est ainsi que l'entend Peter Van Heyghen, artisan scrupuleux. Le souffle n'est pas sa manière: il juxtapose. Tout affairé aux accents de la danse, il ne se soucie guère de rythmer des scènes entières. Le sens n'est pas son problème. Keiser nous intrigue après la belle scène au mont des Oliviers, quand une musique souriante porte les paroles terribles de la Fille de Sion (« Pécheur, regarde avec crainte et tremblement la monstruosité de tes péchés... »). Est‑ce alors à l'interprète d'imposer une vision, une idée, un effet ? Rien de tel ici, un ravissant menuet sous des syllabes délicates. Deux numéros plus loin, l'omniprésente Fille de Sion revient avec un nouvel air aux harmonies et à l'accompagnement tourmentés (« Que mon coeur se brise, qu'il coule en larmes»): à peine plus d'effusion dans ce soprano délicieux, qui ne s'exprime que par ses détails. Après la pendaison de Judas, Zsuzsi Toth nous promettra le châtiment divin comme d’autres invitent à dîner. On n'est pas d'humeur à jeter la pierre à un chant aussi suprêmement galbé et joliment timbré : regrettons seulement qu'un chef sans idée fasse appel à une madrigaliste (hors pair, certes) là où Brockes disposait des stars de l'Opéra de Hambourg.
La distribution a
pour mérite sa cohérence. Personne n'essaie d'interpréter, tous s'appliquent à
lire la partition en appliquant les recettes attendues. Les airs de colère
vocalisés s'agitent dans l'eau bénite, la déploration de Marie au pied de la
croix nous ramène au jardin d'enfants, un choeur et un orchestre onctueux
flattent l'oreille sans retenir l'attention. Reste Peter Kooij, dont le Christ à
demi‑mot gagne un beau rayonnement sur cet écrin lisse. |
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