Extrait du livret - 
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 Alia Vox
 AVS9956



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BEETHOVEN

MISSA SOLEMNIS

Le testament d'une vie

 

Après avoir étudié, enregistré et diffusé l'intégrale des symphonies du compositeur de Bonn, - qui finit avec l'impactante 9ème symphonie -, nous voici au terme de notre projet " Beethoven Revolulion ". Notre cycle culmine avec sa Missa solenmis, un des trésors les plus incalculables de l'esprit, composé entre l8l9 et 1823, " dans laquelle ", comme le dit si bien Romain Rolland, dans son livre incontournable sur Beethoven, " un maître souverain de l'art des sons y a déposé le plus profond de sa grande âme, avec une sincérité absolue. C'est, peut-on dire, le Testament de toute sa vie. écrit au faîte de la vie, en pleine vigueur, et enrichi d'une poignante expérience. "

 

Ce qui m'a toujours fasciné à propos de Beethoven, outre la puissance de son langage, c'est que sa musique s'adresse à chaque être humain. qu'importe son origine, sa classe ou ses croyances et elle n'est plus composée pour satisfaire exclusivement l'élite aristocratique ou cléricale. C'est aussi la raison qui explique pourquoi il ne composa que quelques oeuvres religieuses : deux messes (la Messe en do majeur et la Missa solemnis et un oratorio (Le Christ au Mont des Oliviers). Peu avant le commencement du travail sur sa Missa solemnis en 1818, il note " Pour écrire de la vraie musique d'église, parcourir les vieux chorals d'église des moines, etc. ".

 

Mais pour Beethoven, comme dit André Boucourechliev : " C'est plus encore par I'esprit que la Messe s'écarte d'une fonction séculaire et incarne, dans le domaine de la musique, la scission des arts et du sacré naguère unis en des siècles de chefs-d'oeuvre. La voix qu'elle fait entendre est la voix triomphante de l'homme, loin de l'effacement, de I'humilité, du renoncement, voix de I'homme créateur, maître d'oeuvre qui impose au texte sacré les images de son expression personnelle ".

 

De plus, il y a chez Beethoven une telle maîtrise du contrepoint, qu'il porte à l'extrême les exigences du langage orchestral, et encore plus celui des voix. Beethoven détruit et transforme les formes, et son langage repose sur la qualité du son, du " tempo " - qui définit le rythme et ses proportions -, de I'articulation et de la dynamique, avec ses accents et ses contrastes extrêmes - et enfin sur les jeux de couleurs des voix et de l'orchestre. Dans tous ces aspects, il atteint des sommets jusque-là inexplorés. Mais ce qui nous touche le plus dans sa musique, c'est son caractère profondément humain et émotionnel. C'est une musique qui parle à l'âme de manière inconditionnelle, indépendamment de la connaissance technique ou historique qu'il peut en avoir. Et quand on a la chance de pouvoir l'approfondir, de pénétrer au coeur de ce pouvoir émotionnel propre au langage beethovénien, on reste émerveillé par sa richesse et sa proximité.

 

En tant qu’interprètes, nous essayons d'aborder sa musique d'une manière à la fois authentique et " moderne ", élaborée et intuitive, qui sauvegarde cette proximité du langage, qui a su interpeller le public de son temps, mais qui garde encore tout ce pouvoir pour le public de notre temps. Par son potentiel spirituel nouveau aussi bien que par sa structure, la Missa Solemnis de Beethoven dépasse d'emblée tout caractère et tout contexte préétablis, s'élance à sa propre découverte. et rejoint - suscite même - un pubiic nouveau. L'équilibre, la sincérité et les valeurs qui y sont

intimement liées font la grandeur de la musique de Beethoven. Les interprétations dites " historiques " s'attachent à les transmettre à partir du " son originel " et à les mettre en ouvre dans la société actuelle.

 

Dans notre travail d’interprétation nous souhaitons aller à I'essentiel en retournant aux sources autographes : avec d'une part l'utilisation d'un chant dépouillé des vibratos modernes, qui empêchent la clarté harmonique et celle du contrepoint, - car nous savons qu'à cette époque le vibrato était un moyen d'expression nécessaire pour renforcer l'effet expressif dans le climax d'une phrase, mais jamais comme vibration constante de la voix - et d'autre part avec l'usage. des instruments originaux, tels qu'ils ont été conçus à l'époque. Les cordes en boyau permettent une qualité et une douceur de I'articulation inégalables. La corde en boyau est faite d'un matériau vivant. Elle restitue la dimension organique, fragile et donc essentiellement humaine de la musique de Beethoven. En redécouvrant les vraies couleurs de cette musique, on en révèle le message authentique. Lorsqu'on restaure une fresque dans une église, on en redécouvre les contrastes et la brillance. Pour nous 1'orchestre de Beethoven n'est pas l'instrument de puissance, le porte-voix, ni le revêtement de sa pensée musicale " orchestrée " : il fait corps avec elle, il est cette pensée. Ce retour aux origines est aussi une manière " révolutionnaire " de vouloir lui donner sa place dans la société d'aujourd'hui. Mais n'oublions pas qu'avec nos ensembles " indépendants " à formation variable et disposant de ressources très modestes, nous luttons aussi, à notre niveau. pour une société plus juste, plus humaine et même plus écologique.

 

 

Financer aujourd'hui l'étude et l'interprétation de la Missa Solemnis de Beethoven, à partir des sources originales, avec un ensemble de 40 chanteurs et un orchestre d'une soixantaine de musiciens spécialisés dans les instruments d'époque, - incluant 50 % de jeunes -, est aujourd'hui un véritable geste " révolutionnaire " et lus risqué économiquement (avant de jouer une note on a dépensé déjà des milliers d'euros de voyages !), que pour une grande formation moderne, avec un choeur de 60 chanteurs. et un orchestre de plus de 100 musiciens, largement financée par des institutions publiques ou privées.

 

L'être humain ne peut pas être commercialisé et il devrait pouvoir vivre dignement, qu'il travaille ou pas. Les choix économiques de notre société basés sur la rentabilité ont conduit à un rapport au travail complètement perverti. Beethoven nous parle de la nécessité d'un autre modèle de société. Il est le premier musicien à tourner le dos à l’establishment, et même à s'opposer à ses mécènes aristocrates. Mozart a essayé avant lui, mais il I'a payé de sa vie. Beethoven refuse la domination de I'aristocratie et du clergé, il revendique la force propre et autonome d'un art, qui est indispensable pour nous élever, pour sortir de la misère spirituelle et de l'animalité de l'homme.

 

Partageant avec ses amis le désir d'avancer vers une société plus juste et plus libre, il s'inspire et fait siens les idéaux de liberté, d'égalité et de fraternité, défendus par la Révolution française. Pour lui, l'homme est responsable de son destin et la musique doit devenir un chemin pour I'aider à se libérer de ses misères. " Lorsque

Czerny, - rappelle J. Chantavoine -, eut terminé en l8l0 la partition de piano de Leonore, il écrivit : " Finis, mit Gottes Hülfe " (Avec I'aide de Dieu), et Beethoven, d'un trait vigoureux, ajouta : " Mensch, hilf dir selbst. " (Homme, aide-toi toi-même) ". De ce point de vue, comme le dit A. Boucourechliev, " Toute l'inspiration de la Missa solemnis se trouve contenue dans ces quatre mots : la foi qu'elle exprime, c'est avant tout la confiance dans la volonté et la bonté humaines ».

 

Beethoven incarne aussi, au plus haut niveau, le rôle de la musique en tant que langage véritablement européen. Dès la Renaissance, les musiciens voyagent partout en Europe et les échanges sont permanents. La musique de Beethoven représente une des formes les plus universelles de ce langage européen, au terme d'un processus initié au l4e siècle. Nous devons revendiquer cette dimension universelle, et donner à ce langage la diffusion qu'il mérite. C'est le langage de tous les Européens, qui est devenu universel, et à travers Beethoven, nous pouvons parler au monde.

 

Pour conclure, rappelons que Beethoven dans sa Messe, donne voix à ses angoisses sur la mort et ses espoirs d'éternité, et évoque aussi la dérive meurtrière et destructive de son monde, qu'il exprime avec intensité durant le récitatif de l'Agnus Dei. Il commence avec les coups secs des timbales et le signal menaçant des trompettes, les cordes jouent un rythme frotté inquiétant, suivi de l'Agnus Dei, Miserere nobis (Agneau de Dieu, aie pitié de nous), chanté d'abord par une voix soliste, à laquelle répond tout le choeur. Dans l'écroulement d'un monde, et sur ses ruines, s'engage alors la lutte entre les thèmes de la paix et de la guerre. Beethoven cherche opiniâtrement la paix ; Bitte um inneren und ausserem Frieden (prière pour une paix intérieure et extérieure), mais avec l'écho de la geuerre, symbolisé par les timbales, les trompettes, il fait planer encore l'angoisse. La reprise de l'Allegretto sur le chant du Dona nobis pacem finit la Messe, sans éclats de grandeur, mais dans une profonde sérénité reconquise. " Ce qui est sûr " comme nous le rappelle Romain Rolland - " c'est qu'à peine Beethoven a terminé la Messe, sur cet appel angoissé à la Paix, qui le fuit, qu'il se jette sur l'idée, abandonnée depuis quatre ans, de la Neuvième Symphonie. Et de son étreinte surgit, dès la fin de l'été 1822,l'hymne à la Joie, la joie des hommes par leur puissante fraternité ".

 

JORDI SAVALL

Paris, 9 octobre 2023

 

 

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