Analyste: Michel
Parouty
En juin 2012, René Jacobs
remporte un beau succès en dirigeant en concert, à la Cité de la Musique,
cette Rappresentazione di Anima e di Corpo …. Quelques semaines
auparavant au Staatsoper de Berlin, il était le maître d'oeuvre musical de
ce même ouvrage, donné dans une mise en scène d'Achim Freyer ‑ production
reprise au printemps 2014, en parallèle à l'enregistrement de studio qui
nous parvient aujourd'hui. On ne peut que se réjouir de cette parution, même
si l'on regrette de ne pas disposer d'une vidéo du spectacle. Pourquoi se
réjouir? Parce qu'on retrouve chez le chef et musicologue le même
enthousiasme, la même ardeur, la même envie de convaincre qui, au concert,
étaient irrésistibles. Et ils sont, ici, indispensables; car rien ne
pourrait être plus monotone que cette suite de strophes aux vers réguliers
(mais dont le nombre de pieds varie), cette alternance de monodies, de petit
ensembles, de choeurs.
D'autant que ces formes relativement simples sont au service d'un message –
permettre à l’Âme et au Corps de faire le bon choix entre le Bien et le Mal
– dont le manichéisme pourrait vite lasser. S’il n’en est rien, c’est grâce
à Jacobs dont le sens du théâtre enflamme chaque note, chaque mesure ‑
certains partis pris (des répétitions de phrases en écho, des «effets
spéciaux» ) ne seront pas du goût de tout le monde, mais tant pis pour les
amateurs d'interprétations anémiées. Pour renforcer la structure de ces
trois actes, le chef n'a pas hésité à emprunter une page de Johann Hermann
Schein en guise de sinfonia introductive, d'utiliser de courts
morceaux d'Alfonso Ferrabosco pour en faire des interludes (particulièrement
efficaces dans l'évocation des Enfers). La volonté de spatialisation, si
efficace à la scène, produit ici aussi des effets spectaculaires, dans
l'opposition des sonorités «terriennes» et «célestes». Sélectionné avec
pertinence, l'effectif orchestral, autant pour les instruments de
continuo que pour ceux dits «d'ornementation», est d'une exceptionnelle
richesse, source de couleurs et de timbres aussi divers qu'enchanteurs, qui
illuminent les mots et rehaussent l'éclat des voix.
L’équipe de chanteurs est quasiment identique à celle entendue à Paris, à
l'exception de Christina Roterberg, remplaçant NarineYeghiyan sans
démériter. Le duo formé par Marie‑Claude Chappuis et Johannes Weisser
captive dès l'échange du premier acte («Anima mia, che pensi»),
exemple éloquent de recitar cantando mené avec maestria. De l'eau a
coulé sous les ponts entre la version gravée en 1970 pour Archiv Produktion
par Charles Mackerras, aussi remarquable par l'usage d'instruments anciens,
rare pour l'époque, que pour une distribution réunissant un nombre
incroyable de grands noms (Hermann Prey,TatianaTroyanos, Edda Moser,Theo
Adam, Paul Esswood!) et la dernière en date, sauf erreur, due à l'exubérante
Christina Pluhar (Alpha). Avec l'originalité qui lui est propre, René Jacobs
occupe désormais la première place dans la discographie d'une oeuvre
captivante et inclassable, qui porte en eIIe les germes de deux genres
lyriques essentiels, l'opéra et l'oratorio.
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