Classique News (08/2009)
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Alia Vox AVSA 9866
Code-barres/Barcode: 7619986398662

 

 

Critique: Camille de Joyeuse

 

Le Savallisme rayonnant de la gravure -raffinement sonore et expressivité fluide et mordante- met en lumière le génie de l'Orphée Britannique. Le compositeur baroque ne pouvait espérer meilleure illustration de son génie. Réédition majeure d'autant plus opportune pour l'année Purcell 2009

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Enregistré en 1996, ici remasterisé et même sublimé par l'amplification et la profondeur nouvelle permises par le sacd, voici l'un des joyaux incontournables réalisés par Jordi Savall en terres purcelliennes.

Entre 1690 et 1692, soit au terme d'une carrière musicale fauchée trop tôt, Purcell développe son langage théâtral dans le genre "semi opéra", spécifiquement anglais (la musique s'intercale entre des scènes parlées: le public londonien rechigne à applaudir les oeuvres continûment chantées), même si Didon et Enée (1692) peut être à juste titre, considéré comme un opéra proprement dit. The Prophetess qui regroupe l'ensemble de la musique de scène de Diocletian, débute par une série de séquences (First et Second Musik) d'une solennité toute lullyste, marquant par sa grandeur et sa majesté dansante, l'influence du style de la Cour contemporaine de Louis XIV: d'ailleurs, sous le règne de Charles II (décédé en 1685), Purcell, fidèle sujet, s'est montré perméable au goût résolument français du souverain Stuart. Mobile, versatile, d'une aisance d'assimilation stupéfiante voire universaliste, Purcell aspire les tendances majeures de son époque: et quand les souverains Marie (de Modène) et Guillaume d'Orange montent sur le trône (après la fuite de Jacques II, frère de Charles II), le compositeur sait tout autant italianiser son écriture, en conformité à la sensibilité des nouveaux monarques...

Pour l'heure, le programme illustre justement cette prodigalité du style purcellien à une époque où l'Italie domine: les Souverains invitent Draghi et financent même une nouvelle chapelle Royale, explicitement italienne (quitte à abandonner La Chapelle antérieure authentiquement anglaise dont Purcell est le plus brillant représentant...).

Savall apporte chez l'Anglais, une souplesse remarquable, doublée d'une diversité dynamique stupéfiante, qui réalise et l'élégance d'un musicien de Cour, et sa prodigieuse passion de la scène dramatique, entre expression et danse: écoutez aussi de The Prophetess, la danse des furies (véhémence articulée des seules cordes!).
Même si l'allégeance de Purcell aux Italiens est évidente (Corelli), l'influence française (Lully) est grande encore dans les années 1690: The Chair dance fait resplendir une musique pleine de grâce, de grandeur et de nostalgie avec cette coloration humaine et profonde que réussit pleinement Jordi Savall et les musiciens du Concert des nations.

Les 5 actes de The Fairy Queen d'après Shakespeare (A Midnight Summer's dream), dévoile l'imagination sans limite d'un Purcell immensément doué, inspiré avant Mendelssohn, par l'enchantement et la féerie shakespeariens. Le surnaturel et le fantastique, rehaussés par la danse et la diversité des couleurs instrumentales offrent aux interprètes une somptueuse partition, faite d'éclats et de poésie (subtilité et finesse du geste pour les Hornpipes, 9 puis 25). Savall, maître absolu des contrastes, de la fluidité fruitée des sonorités, sait construire le drame sous-jacent en variant toujours, grâce à une éloquence allégée, jamais plombée, qui fait aussi le génie de sa lecture d'un autre "grand anglais", Haendel (voir son approche indéclassable de la Water Music, talonnant de près le champion du raffinement anglais monarchique, Gardiner et ses English Baroque Solists).
Sans diluer la cohérence de ton et la justesse de l'architecture, Savall s'ingénie à colorer en profondeur chaque épisode: grâce légère et diaphane du rondeau; nervosité sautillante de la jig conclusive du I; gazouillis aérien et délicieusement badin du chant des oiseaux au II: appel à la pure rêverie; grandeur et maintien lullystes du 21; tempérament martial des superbes trompettes, avec échos et réponses spatialisées pour l'entrée de Phoebus (27)... que n'aurait certes pas renié le Roi-Soleil à Versailles.
Chaque instrumentiste sait aussi caractériser sa ligne sans jamais mettre en péril le formidable allant collectif (précision jubilatoire des bois et ampleur oxygénée des cordes dans la danse de la femme et de l'homme chinois en forme de Chaconne, 33). Saluons Alia Vox de rééditer ce monument à la gloire purcellienne, d'autant plus opportun en 2009, année des célébrations en hommage au musicien (350 ans de sa naissance). Le Savallisme rayonnant de la gravure -raffinement sonore et expressivité fluide et mordante- met en lumière le génie de l'Orphée Britannique. Le compositeur baroque ne pouvait espérer meilleure illustration de son génie.

 

  

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