WUNDERKAMMERN
(12/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Soli Deo Gloria
SDG728
Code-barres / Barcode :
843183072828
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Au commencement était la joie. En
tout premier lieu, celle de la nativité, l’émerveillement simple et indicible
d’une venue au monde, cette irruption attendue et pourtant bouleversante que vit
la majorité des parents, quelle que soit sa confession. Celle, ensuite, d’un
Johann Sebastian Bach arrivé depuis un peu plus de six mois à Leipzig dont ce
Noël 1723 était le premier qu’il passait à son nouveau poste ; les nuées
menaçantes ne s’étaient pas encore accumulées sur ses rapports avec ses patrons
et il déployait de grand cœur une formidable énergie pour démontrer à tous
l’étendue de ses capacités. Celle, enfin, de retrouver Sir John Eliot Gardiner
au service de la musique d’un compositeur avec lequel il entretient des rapports
d’indéniable proximité.
À l’instar du Messie de Händel, le
Magnificat de Bach fait partie des œuvres emblématiques de la période de Noël ;
par malchance, même si on se garde naturellement bien de le souligner, la
première a été écrite pour Pâques 1742 et la seconde pour la fête de la
Visitation 1733 (alors le 2 juillet), du moins dans sa version en ré majeur (BWV
243), la plus fréquemment jouée. La mouture primitive de la partition, en mi
bémol majeur (BWV 243a), est nettement moins fréquentée et s’il n’est pas exclu
qu’elle ait été créée pour la même occasion dix ans plus tôt, son manuscrit
contient, en revanche, quatre interpolations ou « laudes » (en fait, ce sont des
hymnes) qui la rattachent directement à la fête de la Nativité. Devant une page
qui réussit la conjugaison de la rutilance et de l’intime avec autant d’aisance,
on pourrait oublier les difficultés qui l’émaillent ; les chanteurs et
instrumentistes n’y sont pas moins conduits à de véritables démonstrations de
virtuosité qui les poussent parfois dans leurs derniers retranchements (« Omnes
generationes », « Fecit potentiam »).
L’angle d’attaque choisi par John
Eliot Gardiner, dont c’est ici le premier enregistrement de l’œuvre, accentue
son caractère caracolant avec des tempos rapides qui ne donnent cependant jamais
un sentiment de brusquerie exagérée, y compris dans les moments les plus
fulgurants ; il faut dire que tant le Monteverdi Choir que les English Baroque
Soloists sont en grande forme, le premier épanoui et discipliné, les seconds
pleins de verve et de couleurs, et tous deux malléables et réactifs à souhait,
attentifs à répondre à la moindre inflexion instillée par leur chef. L’ensemble
vit avec ferveur et avance avec vigueur mais veille également à ménager de
l’espace pour respirer amplement et laisser l’émotion se développer. À
l’éclosion de cette dernière, les solistes prennent largement leur part ; ils
sont globalement excellents (j’ai juste été gêné par l’émission trop ouverte du
ténor officiant dans le « Deposuit potentes » — il faut dire que lorsqu’on a la
prestation de Robert Buckland dans l’oreille, la barre est haut placée) et je
soupçonne Gardiner de les avoir fait intensément travailler sur les affects du
texte, ce qui se perçoit très nettement dans la cantate Süßer Trost, mein Jesu
kömmt (« Doux réconfort, mon Jésus vient », BWV 151) écrite pour le troisième
jour après Noël 1725, débordante de confiance sereine. Certes, on sent
régulièrement que l’on est en présence de chanteurs britanniques, mais la
soprano Angela Hicks, dont la tessiture oscille entre femme et jeune garçon,
trouve le ton juste dans l’ample sicilienne qui ouvre la cantate sur un
balancement proche de celui d’une berceuse. De même, le contre-ténor Reginald
Mobley s’acquitte de toutes ses parties comme, entre autres, le délicieux «
Esurientes » avec flûtes à bec du Magnificat, avec une absence d’afféterie qui
lui fait honneur et n’est pas sans rappeler parfois l’art de Carlos Mena.
L’autre complément de programme est, de façon surprenante et bienvenue, la Missa
brevis en fa majeur (BWV 233), une de ces quatre merveilleuses messes dites «
luthériennes » malheureusement si peu fréquemment abordées au concert comme au
disque. Partitions assez atypiques dans la production de Bach, elles datent
vraisemblablement de la fin des années 1730 et réemploient largement le matériel
musical de quelques cantates ; c’est le cas de la BWV 233 qui fait par ailleurs
quelque peu figure d’exception, puisque son Kyrie s’inspire d’une pièce
similaire peut-être assez nettement antérieure (BWV 233a que certains
musicologues estiment composée à Weimar), et qu’elle contient, en cantus firmus
joué aux cors et hautbois, la mélodie du Christe, Du Lamm Gottes (l’Agnus Dei
allemand). Aucun document ne permet de rattacher directement cette page à la
célébration de la Nativité, mais sa tonalité pastorale de fa majeur et la
possible évocation d’une chasse céleste au début du Gloria autorisent néanmoins
à le conjecturer. Quoi qu’il en soit, l’évolution de la sévérité du stile antico
du Kyrie à l’exubérance souvent dansante du Gloria est assez jubilatoire,
d’autant que les interprètes s’attachent à rendre justice à l’une comme à
l’autre avec un art consommé de la gradation et de la caractérisation. Il reste
encore trois autres messes et quelques mouvements séparés, autant d’œuvres de
Bach que John Eliot Gardiner n’a jamais abordées au disque ; ne feraient-ils pas
un superbe cadeau pour un prochain Noël ?
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