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Outil de traduction ~ (Très approximatif) |
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Analyste: Philippe Ramin L’oeuvre la plus emblématique, de Biber est connue par un unique manuscrit, dépourvu de titre conservé à Munich. Elle marque un tournant dans la représentation du violon qui passe du statut d'instrument plus ou moins populaire, vulgaire, destiné à la danse, à celui de chantre de la musique sacrée, dans un cycle imposant de quinze sonates (Annonciation, Visitation, Nativité etc.). Biber y favorise souvent le registre grave (chose rare au XVIIe siècle) et joue sur l'effet saisissant des unissons à la manière des musiques populaires hongroises. L’usage systématique de la scordature (chaque sonate appelle un accord différent du violon, par exemple do‑fa‑la‑do) est poussé à son comble dans la Sonate XI, où les deux cordes centrales se croisent. Le haut et le bas sont inversés: symbole puissant pour ce tableau de la Résurrection... et casse-tête pour le violoniste,
Peu d'interprètes s'y risquaient hier, mais quelle moisson aujourd'hui! Le défi n'est pas seulement technique il s'agit aussi de trouver un sens musical à des tableaux rarement explicites. Doser le détail narratif et la distance contemplative ne va pas non plus de soi. Fabien Roussel, dans son intégrale parue chez Bayard, suggère que cette musique serait un support de méditation favorisant la prière dans la lignée des préceptes d'Ignace de Loyola. Ainsi le prélude organiserait l'espace nécessaire à cette méditation, les danses représenteraient les personnages et les sentiments qui les animent, suivis d'une conversation ou « colloque » avec le Christ ou la Vierge.
On ne s'attardera pas sur la version d'Anne Schumann. Le continuo réalisé à l'orgue seul (trois instruments historiques au fil du cycle) limite a priori l'éparpillement coloriste et permet de concentrer l'idée. Après une introduction volubile, le jeu convenablement caractérisé de la violoniste est vite prisonnier d'un accompagnement plat et opaque qui interdit toute direction. Les pièces d'orgue à la fin des trois disques (Buxtehude, Pachelbel) parachèvent le naufrage.
Très attendue, la version de Rachel Podger séduit sur le plan sonore mais pose quelques questions. Sur le plan de l'exécution, c'est sans nul doute du très beau violon. Le chant instrumental est fermement campé dans une posture de soliste où les modes de jeu d'origine populaire sont plutôt gommés. Le continuo diversifié s'applique à suivre une ligne souple, peu descriptive (peut‑être un chat s'étirant dans Le Recouvrement de Jésus ?) et hésitante dans sa direction. Certains choix sont hors sujet, comme la riche harmonisation de l'ostinato du « Surrexit » (Sonate XI) qui en contredit la périodicité incantatoire et la supposée montée en puissance. L’exercice décoratif laisse perplexe dans L’Agonie au mont des Oliviers, comme la distance face à La Flagellation (l'idée, certes, est claire). La lucidité musicale de cette artiste tant admirée,se retourne, cette fois, contre l'émergence d'un sentiment spirituel et poétique.
La proposition de la violoniste américaine Ariadne Daskalakis est entièrement tournée vers un art de la suggestion subtil et formidablement organisé. Continuo étendu et très expert, intonation sans faille de la soliste au service d'un exercice spirituel exigeant : le voyage est passionnant. Le splendide poème pour violon et continuo que constitue Le Mont des Oliviers est sous ses doigts un Lamento crédible et poignant, illustré de détails, tels les « Gouttes sanglantes », et se terminant par une saisissante « Marche des hommes armés ». C'est aussi la version où le groupe de continuo semble le plus rodé, où la pulsation rythmique obéit aux plus fines impulsions et où la personnalité des différents violons est le mieux perceptible. La réalisation musicale, de toute beauté, s'inscrit dans cette idée de méditation propre au surgissement des images pieuses chères aux Jésuites. En bonus, une remarquable interprétation de l'unique sonate de Muffat, où l'archet félin de la violoniste se joue des arpèges de la section centrale tout en rendant merveilleusement sensibles les glissements enharmoniques.
Toute aussi
pertinente, la lecture de Lina Tur Bonet et Musica Alchemica fait elle aussi
appel à un groupe instrumental fourni, dont les couleurs expressives
appellent la version d'Alice Piérot (Alpha, Diapason d'or). L'apparition de
l'archange Gabriel au milieu d'étoiles scintillantes figurées par ce
bruissement de plectres, les effrayantes interventions de la régale, la
sarabande modeste soutenue par le lirone et le théorbe, tout cela oscille
entre un merveilleux délicat et un caractère plus terrestre d'allemandes
élégantes et structurées. Le principe d'un continuo cumulatif est mis en
scène avec le plus grand savoir‑faire. Encore du très beau violon au
service d’un plan d'ensemble très abouti. |
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