WUNDERKAMMERN
(08/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
DHM 88985415492
Code-barres / Barcode : 0889854154929
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Certains disques semblent taillés sur
mesure pour la période durant laquelle ils paraissent, et si vous savez un peu
d’allemand, vous ne serez guère surpris qu’un programme s’intitulant Schabernack
se montre quelque peu facétieux. Après un détour du côté de Geminiani,
l’ensemble suisse Les Passions de l’Âme, installé à Berne, revient au répertoire
germanique de la seconde moitié du XVIIe et des premières décennies du XVIIIe
siècle qui avait fait le succès de son premier enregistrement.
L’idée de la représentation en
musique vient d’Italie et, plus précisément, de Claudio Monteverdi qui
l’appliqua avant tout au chant afin d’y intensifier l’expression des passions
mais ne dédaigna pas d’user d’effets d’imitation aux instruments pour susciter
les images requises par l’action — songeons, par exemple, au galop des destriers
dans le Combattimento di Tancredi et Clorinda (1624). Cette attitude eut une
double conséquence, celle de valoriser la musique instrumentale alors souvent
regardée comme inférieure à la vocale et, ce faisant, de contribuer à son
émancipation en affirmant ses capacités à produire du discours et de l’émotion
sans le recours à la parole. Un violoniste originaire de Mantoue entendit
parfaitement la leçon de celui qui avait contribué à façonner quelques-uns des
plus beaux moments musicaux de sa ville natale ; il se nommait Carlo Farina, fut
actif entre autres à Dresde sous la direction de Schütz et finit sa vie à Vienne
; son Capriccio Stravagante publié en 1627, véritable mosaïque d’imitations de
cris d’animaux et de divers instruments, du fifre des soldats à la guitare
espagnole, fut une révolution non seulement du point de vue formel mais
également violonistique, la multiplication des effets nécessitant l’emploi voire
l’invention d’une grande variété de techniques de jeu. Il ne fait guère de doute
que sans cette page séminale, nombre des compositions signées par les virtuoses
du violon que furent Johann Heinrich Schmelzer, Heinrich Ignaz Franz Biber ou
Johann Jakob Walther et même par le claviériste Johann Joseph Fux, un sérieux
qui savait se déboutonner dans ses partitas, auraient eu un tout autre visage.
Les œuvres bien connues ou plus rares
proposées dans cette anthologie explorent un champ varié de représentations, des
bruits de nature où se distinguent les oiseaux et en particulier le coucou
(Scherzo d’Augelli con il Cuccu de Walther, Sonata Cu Cu de Schmelzer, Pour le
Coucou de Fux) à ceux de différentes activités humaines, ainsi la danse
grotesque des matassins (Arie con la Mattacina de Schmelzer), les détrousseurs
de voyageurs qui ne sont peut-être que de comédie puisque le ballet Spoglia di
Pagagi (« Le vol des bagages », très probablement) de Schmelzer convoque la
figure de Scaramouche, mais également la guerre dépeinte avec un humour débridé
par Biber dans sa célèbre Battalia et une verve plus retenue par Fux dans sa
partita intitulée Les Combattans (qui donne, en prime, à entendre un hypnotique
Perpetuum mobile) qui révèle un net changement stylistique s’acheminant de la
recherche d’imitation pure vers la pièce de caractère plus abstraite intégrée à
une suite de danses dont le XVIIIe siècle sera friand, comme le démontrent entre
autres les Ouvertures de Telemann ou de Fasch.
Un programme comme celui que propose
Les Passions de l’Âme peut se révéler aisément périlleux si les musiciens ne
sont maîtres ni de leur technique, car ces œuvres amusantes n’en dissimulent pas
moins une bonne proportion de pièges redoutables, ni de leur propos, une
glissade vers un grand-guignol de bazar risquant toujours de se produire si tel
ou tel trait est trop appuyé. L’ensemble souplement mais fermement dirigé du
violon par Meret Lüthi échappe avec panache aux deux écueils et livre une
prestation d’une vitalité et d’une espièglerie absolument réjouissantes. Sans
jamais tomber dans l’agitation purement démonstrative, les musiciens déploient
une effervescente activité pour faire saillir la théâtralité de pages conçues
pour briller (leur lecture de la Battalia de Biber est ainsi une éclatante
réussite) en ne perdant jamais une occasion d’en exalter les contrastes
dynamiques et d’en souligner adroitement les nuances. Si rien dans la mise en
place ne semble avoir été laissé au hasard, on est agréablement surpris par le
caractère spontané d’une interprétation qui délivre une persistante sensation de
naturel et de liberté ; certains trouveront sans doute à redire à l’utilisation
d’un dulcimer, d’appeaux ou de (discrètes) percussions, mais la pertinence et le
bon goût qui y président font oublier bien des réserves y compris lorsque l’on
est, comme moi, plutôt réticent de principe à ce genre d’ajout. Joué et
enregistré avec soin, ce disque attachant et plein d’humour réussit parfaitement
son pari de faire sourire l’auditeur sans déroger pour autant au raffinement et
à la subtilité ; il confirme également que les bien nommées Passions de l’Âme
sont à suivre avec grand intérêt.
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