WUNDERKAMMERN
(09/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Aparté
AP155
Code-barres / Barcode :
3149028114324
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Parfois des œuvres naissent de la
nécessité. En 1748, l’Académie royale de musique, qui avait urgemment besoin de
rentrées financières, fit appel à l’un des compositeurs les plus en vue de son
temps, Jean-Philippe Rameau, pour contribuer à son renflouement. La partition
commandée se devait d’être concise afin de pouvoir indifféremment être jouée
seule ou accompagnée de pages d’autres compositeurs en suivant la mode des «
Fragments » qui se développait depuis quelques années déjà pour répondre aux
mêmes objectifs de rentabilité immédiate.
La légende veut que Rameau ait
composé l’acte de ballet Pygmalion en moins de huit jours ; si l’on peut
raisonnablement émettre quelques doutes sur le caractère fulgurant de ce travail
de création, il est certain qu’il fut d’autant plus rapide que l’idée de traiter
ce thème avait sans doute déjà effleuré le musicien ; il ne faisait pas mystère
de son admiration pour Antoine Houdar de la Motte au Triomphe des arts (1700,
mis en musique par Michel de La Barre) duquel il emprunta son livret en le
faisant retailler sur mesure par Sylvain Ballot de Sauvot, qui s’attira maintes
railleries pour une tâche dont il s’acquitta pourtant sans démériter. Inspiré
des Métamorphoses d’Ovide, l’argument de l’œuvre est limpide : le sculpteur
Pygmalion est désespérément amoureux d’une statue qu’il a façonnée (son air «
Fatal Amour », qui constitue la scène I, dépeint avec beaucoup de justesse sa
passion et son abattement) et s’en trouve tellement obsédé qu’il ignore la
tendre inclination qu’a pour lui Céphise, laquelle soupçonne que le dédain
affiché par l’objet de ses feux trouve sa source dans quelque attachement secret
; après un échange virant à l’affrontement entre les deux protagonistes (scène
II), Pygmalion, demeuré seul, en appelle à Vénus qui dépêche l’Amour pour animer
la statue ; elle s’éveille et les deux amants, leur surprise passée, échangent
des serments (scène III). Les scènes IV et V prennent l’allure d’un
divertissement célébrant le triomphe de l’amour avec force danses qui permettent
à Rameau de laisser libre cours à son inépuisable inventivité dans ce domaine.
Il est assez fascinant d’observer comment le musicien a su dépasser la
contrainte du format court en déployant, en l’espace d’environ trois quarts
d’heure, un très large éventail de son savoir-faire dramatique pour donner corps
à une action qui, sans ce secours, aurait été rapidement condamnée à faire du
surplace. L’alternance de monologues et de dialogues, les savantes progressions
tonales, comme dans la scène III évoluant du mineur au majeur pour signifier le
passage du désespoir à la joie en marquant un temps de pause afin de mieux
symboliser la stupeur devant l’éveil de la statue, l’intervention millimétrée du
chœur dans « L’amour triomphe », trouvaille dont le compositeur était si fier
qu’il la cita ensuite dans sa Démonstration du principe de l’harmonie (1750),
tout concourt à donner le sentiment d’une variété maximale qui assura à cette
œuvre, que sa fluidité et l’élégance de sa facture rapprochent des tableaux
contemporains de François Boucher, un réel et durable succès en dépit de débuts
en demi-teintes.
En complément de programme est
proposée une suite d’orchestre extraite du ballet héroïque Les Fêtes de Polymnie
commandé à Rameau et à son librettiste Louis de Cahusac dans le cadre des
célébrations de la victoire de Louis XV à la bataille de Fontenoy en mai 1745.
L’originalité de son Ouverture fut remarquée et louée par les commentateurs de
l’époque, Mercure de France en tête, et l’œuvre marque le début d’une fructueuse
collaboration entre deux hommes qui allaient faire profondément évoluer le
théâtre lyrique français.
Dès les premières notes de la
délicieuse Ouverture de Pygmalion, on sent que l’on tient avec ce disque une
excellente réalisation des Talens Lyriques ce que la suite ne dément pas. Bien
sûr, cet acte de ballet a déjà été enregistré plus d’une fois et l’on se
souvient, entre autres, des lectures de Gustav Leonhardt, maîtrisée mais
étrangère au théâtre (DHM, 1980), de William Christie, plus idiomatique mais un
rien trop pastel (Harmonia Mundi, 1991), ou de celle, fougueuse, d’Hervé Niquet
(FNAC/Musique à Versailles, 1992) ; la proposition de Christophe Rousset me
semble, quant à elle, atteindre un point d’équilibre assez idéal entre animation
dramatique et raffinement musical. Il trouve en Cyrille Dubois un Pygmalion au
timbre séduisant et à la lisibilité parfaite, soucieux de faire vivre son rôle
avec subtilité et engagement ; la Céphise de Marie-Claude Chappuis conserve,
pour sa part, sa noblesse jusque dans son emportement tandis que l’Amour
d’Eugénie Warnier est plein de tendre assurance. Je suis un peu plus réservé
quant aux prestations de Céline Scheen, qui campe une Statue que l’on sent
certes émerveillée par le prodige de la métamorphose puis amoureuse de son
sculpteur, mais qui sacrifie trop l’articulation à la beauté de la ligne vocale,
et, pour les mêmes raisons de manque d’intelligibilité, de l’Arnold Schoenberg
Chor, malgré son indéniable impact. L’orchestre, lui, est à la fête et nous
régale tant par son dynamisme que par son tranchant, sa discipline, sa
souplesse, son sens des nuances et du coloris ; la connivence absolument
évidente qui s’est instaurée au fil des années entre les instrumentistes et leur
chef fait sans doute beaucoup pour l’impression de respiration commune, de
justesse de ton, de cohérence et d’évidence dans les choix esthétiques, qualités
encore soulignées par la prise de son très naturelle de Maximilien Ciup, qui se
dégage de leur travail. Malgré les légères réserves exprimées, cette lecture
lumineuse et sensible de Pygmalion demeure tout à fait recommandable et
s’inscrit indiscutablement parmi les meilleures de la discographie.
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