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Diapason # 654 (02/2017)
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Ces grands compositeurs qu'on a failli oublier

Johann Bernhard Bach

Automne 1991. Je plaçai dans la platine un album de Thomas Hengelbrock et de ses Freiburger consacré à un membre de la famille Bach dont je ne savais rien: Johann Bernhard, cousin au second degré de Johann Sebastian, confondu parfois avec un autre Johann Bernhard, neveu du Cantor de Leipzig, dont il ne reste par ailleurs que des miettes. Le catalogue survivant de « mon » Johann Bernhard est à peine plus étoffé: trois chaconnes ignorées des clavecinistes, même aujourd'hui, et cinq Suites d'orchestre, dont une perdue.

Quelle grâce, quels charmes, quels paysages de féerie dans les quatre survivantes, quel art mélodique singulier ! Certes, Thomas Hengelbrock les réalisait un peu timidement, d'élans, d'abandons et d'habillages ‑ si le manuscrit original s'en tient aux quatre parties de cordes, on sait que les bois fleurissaient tout cela. Pourtant, je me perdais à loisir dans leurs tendresses. Plus français ? impossible, même pour ces musiques d'Allemagne qui ne voyaient que par la mode d'outre‑Rhin. Telemann, Fasch, Heinichen y cédaient pour plaire aux cours de Saxe ou de Prusse. Johann Bernhard s'y plaisait lui‑même, plus lullyste, plus coupereniste qu'aucun de ses compatriotes, enfermant sa muse lyrique dans un Versailles rêvé.

Il lui fallut bien de l'imagination pour créer de tels décors. Organiste par nécessité à Magdebourg, sa jeunesse se morfond à l'église. La disparition de Johann Christoph, cousin d'une autre branche du séquoia Bach, lui ouvrira d'abord la tribune de la Georgenkirsche d'Eisenach, puis les portes de la chapelle de musique de la Cour. Succession doublement périlleuse. Johann Christoph Bach était tenu en haute estime par Johann Sebastian qui le qualifiait de « compositeur profond », ce à quoi Johann Bernhard Bach n’aspire aucunement, enfant d'un siècle où le léger s'y substitue sans pourtant y renoncer.

Plus redoutable encore: lorsqu'il prend la musique de la Cour, c'est Telemann, partant pour Francfort, qui lui cède la main. Il aura assez d'admiration pour l'oeuvre de son aîné, et d'estime pour l'homme ‑ amitié tenace qui scelle une affection jamais démentie jusqu'à la mort de Johann Bernhard. Établi à Eisenach, il y reste trente‑sept ans, et ne quitte la ville que pour l'autre monde. Trois décennies à noircir des portées et à faire sonner sa musique dont presque rien ne nous est parvenu.

VÊTURES SOMPTUEUSES

Las! l'album des Freiburger relégué sur une étagère du grenier, j'avais abandonné Johann Bernhard. Jusqu’à ce que la poste livre un disque de François Joubert‑Caillet, dont la viole m’avait charmé chez le Hollandais Johannes Schenk, un peu moins oublié. Allait‑il ennoblir les partitions les plus françaises qu’un Bach a jamais écrites, en abandonnant son instrument pour conduire une belle bande de treize musiciens nommée L'Achéron? Des Suites qui dansent enfin me saisissent illico. L'Ouverture de celle en sol, qu’on croirait empruntée à un opéra de Marais par la majesté de sa chaconne, me souffle. Les fifres épicés de sa Bourrée entraînent dans leur sillage une fête champêtre, suggérant une musette. Ceux du Rigaudon de la Suite en mi, autrement déluré, ont un petit air carnaval de la folie. Partout le génie français éclate dans des vêtures somptueuses, le jaune et l'incarnat brillent à travers violons, hautbois et flageolets. Mais lorsque la grande mélodie des Plaisirs de la Suite en mi résonne, chaconne qui s'ignore, le Gilles de Watteau vous regarde au fond des veux, vous interroge, tendre, perdu, désarmé. La nuit peut venir.

Jean‑Charles Hoffelé


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