WUNDERKAMMERN
(11/2016)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Alpha
Alpha965
Code-barres / Barcode : 3760014199653
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Le 1er septembre 1715, le roi qui se
prétendait soleil s’éclipsa définitivement du théâtre d’un monde auquel ses plus
de soixante-dix ans de règne avaient souvent fourni décor et argument. On aurait
pu légitimement imaginer que le tricentenaire de la mort de cette gloire
nationale susciterait, en France, un déploiement de fastes musicaux, le goût du
souverain pour la musique dont il sut, à l’instar des autres arts, faire un des
instruments de sa politique étant notoire ; la moisson s’est révélée fort
maigre, du moins au disque, mais l’anniversaire de cet épilogue nous permet
cependant de découvrir aujourd’hui une des scènes qui ont immédiatement suivi le
lever du rideau sur ce destin d’exception.
Pour des raisons qu’une certaine
historiographie s’est empressée d’attribuer aux penchants sexuels réels ou
supposés de son père, Louis XIII, la naissance du Dauphin se fit attendre si
longtemps que lorsqu’il parut, l’héritier de la couronne de France fut
immédiatement qualifié d’enfant du miracle et prénommé Louis Dieudonné. Son
arrivée fut fêtée avec tout le faste possible non seulement dans le royaume mais
également hors de ses frontières ; ainsi l’ambassadeur de France à Venise,
Claude Hallier du Houssay-Monnerville, qui occupa ce poste entre 1638 et 1640,
demanda-t-il à Giovanni Rovetta de composer pour l’occasion une messe solennelle
qui devait connaître les honneurs de la publication en 1639 au sein d’un recueil
intitulé Messa e salmi concertati constituant l’opus 4 de son auteur. On peut
être surpris que le diplomate se soit tourné vers celui qui était l’assistant à
Saint-Marc, depuis 1627, d’un musicien à la renommée autrement plus éclatante,
Claudio Monteverdi, auquel il devait d’ailleurs succéder en 1644. Les sources
demeurent muettes quant à l’éventuelle justification de ce choix, mais celui-ci
révèle néanmoins que Rovetta ne se contentait pas de jouer les utilités dans
l’ombre de son prestigieux maître ; très actif en différents lieux de Venise,
églises comme ospedali, la qualité de sa musique y était suffisamment reconnue
pour attirer l’attention de commanditaires prestigieux. Si elle en trahit
l’influence, elle n’a pas toujours, soyons honnêtes, la puissance expressive de
celle du Crémonais, ce que fait quelque peu cruellement sentir l’inclusion de l’Adoramus
te Christe de ce dernier dans le programme, même si les volutes légères et
lumineuses du motet O Maria, quam pulchra es la montrent sous son meilleur jour.
Sa Messe, qui suit l’exemple initié en 1630 par Alessandro Grandi en omettant
complètement le Sanctus et l’Agnus Dei que la pratique vénitienne tendait déjà à
réduire à leur plus simple expression et qui ont été empruntés pour l’occasion à
la Messe à huit voix de Giovanni Antonio Rigatti publiée en 1640, une décision
qui peut se discuter si l’on vise donner l’idée la plus proche de ce qui se
pouvait entendre lors des festivités de 1638 d’autant que le programme fait
l’impasse sur le Magnificat à huit voix qui aurait fort logiquement pu être
inclus, se révèle cependant une partition de fort belle facture. Soigneusement
élaborée, avec l’ajout d’une voix nouvelle à chaque section (cinq pour le Kyrie,
six pour le Gloria, sept pour le Credo) pour lui conférer une opulence et une
force croissantes (on pourrait presque déjà y lire une allégorie de la course du
soleil) et un schéma tonal cyclique qui va du sol mineur implorant du Kyrie au
festif ut majeur du Gloria pour revenir à sol mais cette fois-ci rayonnant en
majeur du Credo, l’œuvre, écrite en style concertant avec deux violons et basse
continue, offre une appréciable variété de styles, faisant alterner des passages
homophoniques à l’ancienne et d’autres écrits dans le style moderne plus
virtuose pour solistes ou duos, ainsi que des tutti visant à renforcer la
puissance et l’impact dramatique de l’ensemble.
Cette réalisation
se place doublement sous le signe de la nativité, puisqu’elle voit le tout jeune
Galilei Consort, créé et dirigé par le violoniste Benjamin Chénier, y faire ses
premiers pas au disque. J’ai eu la chance d’entendre ce programme en concert,
tout juste sorti du berceau, lors de l’édition 2015 de l’Académie Bach
d’Arques-la-Bataille ; l’enregistrement effectué dans les conditions du direct,
avec une équipe de chanteurs et d’instrumentistes légèrement différente, quatre
mois plus tard en la Chapelle royale de Versailles m’apparaît nettement plus
accompli que ce que mon souvenir a pu conserver de la prestation normande.
Est-ce un aguerrissement supérieur ? La magie du lieu, à l’acoustique une
nouvelle fois parfaitement maîtrisée et restituée par Aline Blondiau ?
L’excitation à l’idée d’inscrire dans une forme de pérennité un projet
longuement porté ? Ce sont probablement tous ces éléments, auxquels il
conviendrait sans doute d’ajouter l’effervescence de l’instant et le sentiment
du devoir accompli qui expliquent en large partie la formidable énergie qui
traverse de part en part cette grosse heure de musique et apporte à ce programme
pourtant disparate une indiscutable unité. Tout est ici rutilements, jeux de
masses sonores, grands à-plats de couleurs soulignés d’un trait d’or, ferveur et
jubilation ; sans temps mort mais avec tout ce qu’il faut de science, de nuances
et de finesse, les musiciens s’investissent avec un enthousiasme palpable pour
insuffler vie et rebond à ce qui n’aurait pu être que marcescentes pompes de
circonstance. Alors, bien sûr, on notera ici ou là un ornement mal assuré,
quelques menues aspérités et tensions au sein des pupitres vocaux ou une diction
que l’on aurait souhaité plus nette, mais, globalement, ce disque rend un fier
service aux œuvres de Rovetta et de Rigatti en leur apportant une chaleur et une
sève qui font paraître bien pâlot l’enregistrement que Cantus Cölln avait
consacré au premier en 2001. Voici indiscutablement une belle réalisation qui, à
défaut peut-être de constituer un apport révolutionnaire à votre discothèque,
contentera grandement l’amateur curieux de compositeurs gravitant dans une
orbite monteverdienne trop brillante pour ne pas les occulter habituellement ;
rien que pour cette raison, il mérite d’être salué et augure bien des capacités
du Galilei Consort dont on observera l’évolution avec intérêt dans les années à
venir.
Sélectionnez votre
pays et votre devise en accédant au site de
Presto Classical
(Bouton en haut à droite)
Pour acheter l'album
ou le télécharger To purchase the CD
or to download it
Choose your country
and curency
when reaching
Presto Classical
(Upper right corner of the page)