Analyste: Denis Morier
Avec un double album riche en
inédits, joint à un véritable livre aux textes passionnants, Leonardo Garcia
Alarcon nous invite à redécouvrir de fond en comble un auteur que l'on
croyait connaître : quarante extraits (scènes et airs) nous font voyager
dans vingt‑sept drammi per musica de Cavalli, depuis les Nozze di
Teti e di Peleo (1639) jusqu'à l'ultime Éliogabalo (1667).
Les procédés d'interprétation mis en oeuvre par le chef argentin sont
exemplaires: un large groupe de basse continue avec harpes, luths et
claviers, et les cordes soyeuses de l'ensemble Clematis guidé par Stéphanie
de Failly (qui illumine avec charme la sinfonia de l'Orione).
Rien ne vient troubler l’efficacité de l'écriture dramatique. Les parties
originales sont respectées, le chant s'épanouit dans un discours sans
fioriture ni décoration superflues. Le continuo épouse le plus naturellement
du monde son rubato, amplifie ses inflexions expressives sans jamais tenter
d'occuper le devant de la scène.
La diversité de l'anthologie est néanmoins tempérée par le principe du
récital - uniquement des pages pour un ou deux sopranos, détachées de leur
contexte. Voix franche, déclamation puissante et subtile doublée d'un phrasé
suave: Mariana Flores est l'atout maître de cette entreprise. Tour à tour
poignante, charmeuse, ingénue, impérieuse, elle visite en caméléon une
galerie de personnages revivifiés avec autant d'autorité que de raffinement.
On n'oubliera pas de sitôt les accents déchirants qu'elle prête à la
déploration d'Adelante (Serse), ni la somptueuse aria de
Didone (Re de Getuli altero), au caractère élégamment dansant,
et surtout à l'expression méticuleusement instable, soumise aux fluctuations
des affeti.
Les extraits des opéras les mieux connus sont les maillons... les moins
forts de l'album, On reste de marbre devant la scène d'incantation de Médée
(Giasone) ; Anna Reinhold n’a ni la stature ni le grave qui
pourraient concurrencer Gloria Banditelli (avec Jacobs, HM) ou Katarina
Bradic (Sardelli, Dynamic). De même, les extraits d’Ercole amante
souffrent de la comparaison avec les deux intégrales existantes: la
Junon plus pathétique que fulminante de Mariana Flores ne saurait rivaliser
avecYvonne Minton jadis (avec Corboz Erato) ou Anna Bonitatibus plus
récemment (version Bolton, Opus Arte).
Mais le double album vaut comme
un tout, une invitation au voyage qui s'achève en apothéose sur le sublime
ensemble final de L’Eliogabalo. Apothéose, et prélude : Leonardo
Garcia Alarcon entrera dans la fosse du palais Garnier en 2016 avec cet
Eliogabalo, et notamment Franco Fagioli.
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