WUNDERKAMMERN
(09/2015)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
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Code-barres / Barcode : 3760014192128
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Même si plus personne ne parle
aujourd’hui de « rentrée discographique » comme c’était le cas il y a encore une
quinzaine d’années, le nombre des parutions qui vont affluer dès ce mois de
septembre est tel qu’il pourrait toujours justifier l’emploi de cette
expression. Il suffit parfois de peu de choses pour que tel ou tel disque
retienne l’attention ; dans le cas de celui que l’Ensemble Masques, dont j’avais
favorablement chroniqué le disque consacré à Schmelzer il y a deux ans, a
construit autour d’un choix de sonates extraites de l’Encænia musices de Romanus
Weichlein, la pochette a joué un rôle déterminant, car même si ses rapports avec
les œuvres enregistrées sont, comme ici, pour le moins lointains, je suis
toujours profondément heureux de voir mis en vedette un des tableaux de mon cher
Sébastien Stoskopff, en l’occurrence la Nature morte à la carpe sur une boîte de
copeaux conservée au Musée de Clamecy.
Il restait à peine cinq années à
vivre au peintre lorsque Andreas Franz Weichlein naquit à Linz en novembre 1652.
Son père était musicien et il ne fait guère de doute qu’il se chargea
d’inculquer les rudiments de son art à son fils qui entra comme novice au
monastère de Lambach où il prononça ses vœux le 6 janvier 1671 ; à compter de ce
moment, il prit pour unique prénom celui de Romanus. A la fin de cette même
année, il s’inscrivit à l’université de Salzbourg dont il devait sortir docteur
en philosophie deux ans plus tard après avoir soutenu sa thèse. Outre
l’obtention de ce titre, son séjour salzbourgeois lui permit également de
côtoyer un musicien dont l’art à la fois souverainement maîtrisé et parfaitement
excentrique allait exercer sur lui une incontestable fascination. Weichlein
fut-il l’élève de Biber ? Aucun document ne l’atteste de façon formelle, mais sa
musique révèle une telle connaissance de son style qu’il est permis de supposer
qu’il ne l’acquit pas qu’au travers de l’étude de ses recueils. En 1688, l’année
même de sa nomination en qualité de chapelain et directeur de la musique au
couvent de Nonnberg à Salzbourg, Weichlein interpréta avec succès une de ses
sonates pour violon (hélas perdue) en la cathédrale de Passau ; trois ans plus
tard, il prenait les mêmes fonctions au couvent (abbaye dès 1699) de la
Sainte-Croix de Säben, où il réforma en profondeur la pratique musicale
notamment en y introduisant l’usage des instruments et, s’il faut en croire la
chronique, en la portant à la perfection. Cette période comprise entre 1691 et
1705 marqua l’apogée de son activité et les deux recueils imprimés que nous
possédons de lui, l’un de musique instrumentale, l’Encænia musices opus 1, dédié
à l’empereur Léopold Ier et publié à Innsbruck en 1695, l’autre de messes, le
Parnassus ecclesiastico-musicus opus 2 (Ulm, 1702), s’y rattachent. La nouvelle
affectation que reçut Weichlein en 1705 ne devait pas lui apporter le même
bonheur, bien au contraire ; la paroisse de Kleinfrauenhaid dont il fut nommé
prêtre avait été ravagée par les guerres contre les Turcs et la famine y
sévissait. Le nouvel abbé de Lambach, dont elle dépendait, resta sourd à la
supplique de son subordonné lui demandant à être déchargé de son ministère et
Weichlein fut bientôt emporté par le typhus, le 8 septembre 1706.
Le musicien a choisi une image
inaugurale pour son premier opus, puisque le mot encæania désigne la fête de
consécration d’un temple; la page de garde nous apprend qu’il se compose de «
douze sonates pour cinq instruments et plus », deux trompettes venant se mêler
aux cordes, dont la distribution est invariablement de deux violons, deux altos
et violone, dans les Sonates I, V et XII. A l’image des Sonatæ tam aris quam
aulis servientes (1676) de Biber qui constituent son modèle le plus
immédiatement identifiable, y compris du point de vue de l’organisation
puisqu’il s’ouvre et se referme comme lui sur une sonate avec trompettes, le
recueil de Weichlein s’adresse « tant aux autels qu’aux palais », la frontière
entre univers sacré et profane étant, comme on le sait, souvent ténue à cette
époque. Quand certains de ses contemporains, Romanus Weichlein Encænia musices
opus 1 1695comme Georg Muffat dont le très français d’inspiration Florilegium
Primum parut cette même année 1695, s’en écartaient résolument au profit d’un
style « européen » mêlant manières française, italienne et germanique, Weichlein
choisit de demeurer fidèle à la tradition autrichienne illustrée par Schmelzer
et Biber. Chacune de ses sonates est ainsi constituée d’une succession de
sections bien différenciées et encore empreinte des surprises et de la
virtuosité du stylus phantasticus, même si on est loin des échevellements et des
bizarreries de ses deux prédécesseurs — il y a ici, de façon assez évidente,
quelque chose qui s’achève. En dépit de contrastes très marqués (on demeure par
exemple surpris, en parcourant la partition, par la fréquence des alternances
forte–piano), les œuvres apparaissent comme assez unitaires et soucieuses d’une
fluidité mélodique qui regarde déjà vers l’avenir que sera le style galant. Pour
compléter le programme de ce disque, on a judicieusement choisi d’insérer des
pièces pour un ou deux clavecins qui donnent une idée de la richesse de
l’environnement musical du temps de Weichlein ; qu’il s’agisse de la chaconne ou
de la passacaille dont le caractère très codifié oblige les compositeurs à
déployer des trésors d’inventivité pour dépasser la contrainte d’une forme close
ou du plus libre capriccio, toutes témoignent d’un art à la fois maîtrisé et
foisonnant qui n’est pas sans trouver un écho naturel dans l’architecture de
cette époque.
Il me semble donc
que ce disque de l’Ensemble Masques constitue un florilège assez idéal pour
faire connaissance avec Weichlein tout en replaçant ses sonates dans le contexte
musical de leur temps. Je le recommande donc à votre attention, qu’il mérite, et
espère que ces musiciens vont pouvoir poursuivre un chemin qui est audiblement
celui de l’exigence et de l’excellence.