WUNDERKAMMERN
(12/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
DHM 88985411762
Code-barres / Barcode : 889854117627
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Lorsqu’on fera le compte des
ensembles qui auront profondément marqué le temps de la redécouverte des
musiques anciennes, il ne fait guère de doute que celui que dirige Paul Van
Nevel depuis plus de quarante-cinq ans se classera parmi les tout premiers. Si
elle a très ponctuellement pu connaître quelques faiblesses, la conséquente
discographie du Huelgas Ensemble demeure d’un niveau exceptionnel et ne cesse de
s’accroître au rythme a minima d’une publication annuelle ; cinq centième
anniversaire de la Réforme oblige, son plus récent enregistrement nous conduit à
la rencontre de l’univers musical des huguenots.
Une des caractéristiques de la
Réforme est, rompant ainsi avec une tradition pluriséculaire, d’avoir confié la
pratique musicale liturgique non à des chantres spécialisés mais à la communauté
des fidèles. Cette optique résolument originale impliquait nécessairement la
création de nouveaux supports pensés pour le culte. Pour l’espace francophone,
ce fut le Psautier de Genève, paraphrase française des cent cinquante Psaumes
due à deux plumes bien différentes, celles du poète de cour Clément Marot puis
de l’helléniste et théologien protestant Théodore de Bèze, dont les premières
phases de l’élaboration remontent au moins à 1533, le premier recueil destiné à
une utilisation concrète, contenant treize paraphrases de Marot et six de Jean
Calvin, ordonnateur du projet, ayant paru en 1539 à Strasbourg sous le titre d’Aulcuns
pseaumes et cantiques. À la mort de Marot en 1544, l’entreprise comptait
cinquante psaumes dont le nombre fut graduellement complété par Bèze à partir de
1548 pour aboutir à une première édition intégrale en 1562 dont la diffusion fut
largement assurée tant à Genève qu’à Paris, Lyon et dans d’autres villes du
royaume de France. D’un point de vue musical, l’objectif poursuivi était
clairement affiché : les mélodies devaient être simples, syllabiques, aisément
mémorisables par le fidèle afin qu’il pût se les approprier et les restituer
sans peine, mais également pour que son attention ne fût pas détournée par trop
de fioritures et d’appâts de l’élément central : la Parole. Cette relative –
car, au fil de l’avancée du travail paraphrastique, des mélodistes comme Loys
Bourgeois ou Pierre Davantès apportèrent maintes touches discrètes mais
néanmoins réelles de complexité – sobriété était tout à fait adaptée à un usage
cultuel mais elle agit également comme un stimulant sur les compositeurs qui
s’emparèrent de ce matériau monodique à la fois finement ouvragé mais que sa
simplicité rendait idéalement malléable pour inventer des constructions
polyphoniques plus ou moins virtuoses « non pas pour induire à les chanter en
l’Église, mais pour s’esjouir en Dieu particulièrement ès maisons » selon
l’Avertissement figurant dans l’édition de 1565 des Pseaumes mis en rime
françoise (…) mis en musique à quatre parties de Claude Goudimel. Il s’agit donc
bien d’harmonisations destinées à un cadre privé qui offrent des degrés
d’élaboration contrapuntique bien différenciés bien que des catégories
intermédiaires se rencontrent également, de l’écriture note contre note à
l’usage d’une ornementation foisonnante, de procédés d’imitation et de
figuralismes qui entraînent le psaume vers la sphère du motet. Enfin, le contact
avec le monde profane ne fut évidemment pas sans influence sur la musique sacrée
française issue de la Réforme ; on note, en particulier, la perspiration des
idées humanistes développées par l’Académie de Poésie et de Musique créée en
1570 par Jean-Antoine de Baïf que le compositeur huguenot Claude Le Jeune
appliqua à ses œuvres en unissant les avancées les plus récentes de l’harmonie
aux rythmes inspirés de l’Antiquité, alors regardée comme une référence en la
matière. Cette musique mesurée, que l’on estimait la plus propre à émouvoir les
passions humaines, fut donc parfois utilisée pour l’harmonisation des psaumes,
comme le démontre l’exemple de Pardon et justice il me plaît de chanter de
Jacques Mauduit.
Le programme de
L’Oreille des huguenots, comme la majorité de ceux concoctés par Paul Van Nevel,
est construit avec beaucoup d’intelligence ; outre quatre psaumes, dont un issu
du recueil en latin de George Buchanan, différemment harmonisés, il donne à
entendre motet et chansons dus à quelques grandes signatures du XVIe siècle
(outre deux splendides pièces de Le Jeune, on en trouve également de L’Estocart
et Costeley) afin de compléter cette évocation de l’univers des protestants
français, et même des échos de la Contre-Réforme célébrant la sinistre saint
Barthélémy par des laudes anonyme et de Giovanni Animuccia ainsi qu’un mouvement
de messe de Palestrina, si bien rendu que l’on se laisse séduire y compris
lorsqu’on n’est pas un inconditionnel de ce compositeur. La patte du Huelgas
Ensemble est immédiatement reconnaissable, avec ce tactus jamais précipité mais
ferme, sachant ménager ce qu’il faut de souplesse et de rebond pour que le
discours avance et que l’attention demeure toujours en éveil, cette conduite
limpidement évidente des lignes polyphoniques, cet impeccable équilibre entre
les différents pupitres composés d’excellents chanteurs et instrumentistes, tous
rompus aux exigences du répertoire renaissant. Un très notable et louable effort
a été fait sur l’intelligibilité des textes qui sonnent avec clarté mais
également avec saveur, les interprètes s’employant à en souligner la charge
émotionnelle, en particulier dans les chansons, fort bien caractérisées (le
douloureux vertige de Povre cœur entourné de Le Jeune, sur lequel se clôt cette
anthologie, vaut à lui seul le détour). Dirigé par un chef qui ne laisse rien au
hasard et a une vision très précise et pertinente de ces musiques mais sait
également octroyer à chaque membre de son ensemble l’espace indispensable pour
qu’il puisse exprimer le meilleur de ses capacités, ce voyage en terres
huguenotes s’avère aussi stimulant pour l’esprit que gratifiant d’un strict
point de vue esthétique. Alors que s’achève une année luthérienne qui n’a pas
toujours été à la hauteur des attentes artistiques qu’elle avait pu créer, ce
disque mérite amplement que vous lui accordiez votre oreille.
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