Analyste: Xavier
Bisaro
Heureux qui,
comme Masaaki Suzuki, a fait le long voyage des deux cents cantates de Bach
(et des Suites pour orchestre, des Brandebourgeois; du
Clavier bien tempéré) Après un tel périple, le regard d'Harnoncourt
ou d'un Leonhardt en leur temps fut bouleversé, et il en va de même à notre
époque pour l'organiste de Kobé.
Le début de la Toccata BWV 565 renvoie sans ambiguïté à la manière de
Ton Koopman, son mentor il y a trente ans. Après cette amorce en clin
d'oeil, le récital propose des pièces dont le rapprochement est inattendu et
l'interprétation enthousiasmante. Même les pages moins personnelles (la
Partita O Gott ... ) ou d'un ton ingénu (la Pastorale BWV
590) sont transfigurées par un souci permanent du détail ‑ effets de
coups d'archet, articulations différenciées, alliage des timbres ‑ autant
que par une vision d'ensemble irrésistible. Les monuments ? La section
intermédiaire et la conclusion de la Pièce d'orgue BWV 572 tout comme
l'immense Fugue en mi mineur BWV 548 résument le style Suzuki : la
conduite énergique de la basse hisse les premières vers des sommets
expressifs, alors que la deuxième sonne à manière d'un mouvement vif de
concerto. Dégagée de toute emphase ainsi que de certains tics
organistiques, la polyphonie se métamorphose en un discours hautement mené
et d'une fascinante virtuosité. Ajoutez à tout cela le faste de l'orgue,
maintenant bien connu au disque, de Groningen ! Jamais grisé par la
diversité des timbres ou par l'opulence impressionnante du plenum, Suzuki
parvient par cet autre biais à tirer son instrument vers l'univers sonore de
Bach, celui des mélanges subtils et évocateurs de tant d'airs de cantate ou
de passion. Avis aux discophiles désabusés : ce florilège est une occasion
parfaite pour revenir, encore et toujours, aux joyaux du répertoire des
organistes tout en réalisant qu'ils sont aussi... de la musique.
Fermer la fenêtre/Close window |