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Diapason # 628 (10/2014)
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Paradizo
PA0013




Code-barres / Barcode : 5425019972134

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Appréciation d'ensemble:

Analyste: Ivan A. Alexandre

Une légende voisine de celle qui entoure la fin de Mozart accompagne celle de Jean Gilles. On raconte que deux frères lui ayant commandé une messe des morts à la mémoire de leur père ne voulurent, le jour de la livraison, plus payer au musicien le prix de ses efforts; celui‑ci reprit alors son bien et décréta qu'on ne le jouerait qu'à ses propres obsèques. Ce qui advint plus tôt qu'il ne le croyait, la Parque ayant coupé son fil à trente­sept ans, quasi l'âge de Mozart au moment de l'adieu.

Peut‑être notre histoire a‑t‑elle contribué à faire de cette Messe des morts le plus célèbre des requiems français avant Berlioz. Plus populaire en tout cas que le chef‑d'oeuvre à peu près contemporain d’André Campra ‑ sur la tombe de qui on joua, en 1744, la Messe des morts... de Gilles. Le compositeur Pancrace Royer l'aimait tant qu'il en fit un « tube » du Concert spirituel dans les années 1750 ‑ si bien qu'on la chanta aussi à la mort de Royer. Elle servit aux obsèques du duc de Lorraine, du roi Louis XV... et donc de Jean‑Philippe Rameau, le 27 septembre 1764, à l'Oratoire du Louvre. A cette époque, elle ne ressemblait que d'assez loin à l’oeuvre de Jean Gilles ‑ disparu il est vrai depuis plus d'un demi‑siècle. On en avait changé l'instrumentation, modifié l'équilibre, allongé ou récrit mainte page, jusqu'à ajouter un Pie Jesu en style italien sans aucun rapport avec le reste de la partition et récemment identifié comme un air de Domenico Alberti remanié pour l'occasion. En ce sombre jour de 1764, l'adaptation pousse encore plus loin puisque trois pièces de Rameau s'introduisent dans le service funèbre sur de nouvelles paroles : le choeur « Que tout gémisse » et l'air « Séjour de l'éternelle paix » de Castor & Pollux ainsi que la scène de la prison de Dardanus. A quoi s'ajoutent ici trois pages instrumentales tirées de Castor (une version pour hautbois de « Tristes apprêts »), Dardanus et Zoroastre.

Mosaïque ? Certes. Coq‑à‑l'âne ? Sans doute. Mais justement. Le grand frisson ‑ qui en doutait ? ‑ viendra moins de Gilles que de Rameau. La modulation du Kyrie vers Castor et son enchaînement à la « prison » de Dardanus donnent le vertige. C'est aussi que les interprètes favorisent ces moments de prière. Moins tragique que triste, estompée par la réverbération d'une église flamande pourtant bien proportionnée, leur lecture sert mieux le Kyrie ou l’Agnus Dei que la verve provençale de Jean Gilles ‑ encore que Judith Van Wanroij, dont la couleur et le phrasé rappellent assez Mireille Delunsch, s'épanouisse dans les roucoulades de l'Elévation. Négligeons la grisaille du choeur et quelques hésitations de l'orchestre. Il s'agit de pleurer un grand homme à l'heure où nous célébrons les deux cent cinquante ans de sa mort. Pleurons.

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