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Analyste:
Isabelle Ragnard
À l’heure ou les turpitudes des Borgia inspirent les scénaristes, il faut de l’audace pour évoquer sereinement Lucrezia, fille du pape Alexandre IV et soeur du machiavélique César. Aucune composition n’étant explicitement associée à la belle Lucrezia (1480-1519), c’est l’ambiance musicale des deux villes où elle séjourna le plus durablement - Rome et Ferrare - qu’évoque ce kaléidoscope. S’y reflètent toutes les émotions d une vie marquée par trois mariages : le premier avec Giovanni Da Pesaro (1493) qui fut annulé par son père, les quelques années heureuses à Naples avec son deuxième époux, Alphonse d’Aragon (1498-1500), bientôt brisées par l’assassinat commandité par son frère César, enfin, son union avec Alphonse d’Este qui fit d’elle la duchesse de Ferrare (1502-1519). À la manière des poètes improvisateurs du XVe siècle, cette destinée singulière est racontée en huit ottave rime (strophe de huit vers) rédigées dans le style épique de l’époque par Valeria Molini sur les mélodies de deux frottoles publiées par Petrucci. Elles ont pour interprète Patrizia Bovi, qui conduit le récit avec le talent rare d’une moderne rhapsode. La chanteuse porte avec conviction les monodies typiquement italiennes que sont les strambotti et autres frottole composées par Niccolo de Padoue et Tromboncino sur les textes de poètes inconnus ou illustres tels que Pétrarque (Virgine bella) ou L’Arioste (Queste non son). De même, elle livre une version épurée et forte de Morte che fai, Lamentation d’Isaac sur un poème de Serafino Aquilano. Sa lecture très ornée de la frottole anonyme Ahime sospiri (plage 14) rappelle que de modestes mélodies pouvaient être prétextes à un déploiement de vocalises vertigineuses. Un entrelacs de lignes instrumentales (harpes, luth et cithares) vient nuancer avec bonheur ces monodies aux contours mélodiques en général rudimentaires. La complémentarité subtile des cordes pincées et frappées est rehaussée par les grésillements des harpions et la forte résonance du dulcimer pour de superbes interludes (Ballo de Domenico da Piacenza). Crawford Young, maître du luth médiéval, transforme de simples danses en d’inventives compositions d’où l’humour n’est pas exclu (Rostiboly). Dans les
cours italiennes de la Renaissance, les chansons polyphoniques complexes des
contrapuntistes franco-bourguignons étaient toujours prisées. Plusieurs
rondeaux des anciens maîtres Ghiseghem et Dufay sont interprétés d’après les
manuscrits en circulation dans la péninsule, sous des formes écourtées (une
strophe) ou pourvus d’arrangements instrumentaux volubiles. Les deux
Scaramella des grands contemporains de Lucrezia, Compère et Josquin,
ajoutent une touche plaisante bien qu’anecdotique à cette évocation riche et
originale d’une protectrice des arts. |
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