Analyste:
Ivan A. Alexandre
Le « cantatiste »
n'est pas le mieux connu des Rameau. Gérard Souzay se régalait de Thétis,
Hugues Cuénod adorait L'impatience, mais leurs dauphins n'eurent
pas ce goût des bonzaïs émotifs (grands sentiments, petites formes). Une
quasi-intégrale au Chant du Monde puis une vraie chez ASV (1998), évidemment
utiles, n'en étaient pas moins boiteuses, et quelques joies ultérieures nous
consolaient à peine. Première surprise: ce charmant florilège d'origine
canadienne, lui, nous console pour de bon. Il est superbement chanté, aussi
bien par le baryton Philippe Sly, déclamation parfaite, legato onctueux,
phrasé de méIodiste, registres soutenus du grave au fa dièse là‑haut
(Thétis), que par la soprano Hélène Guilmette, verbe fleuri, ornements
ciselés, ligne gracieuse. A lui Thétis et Aquifon, à elle Le Berger
fidèle, à eux Les Amants trahis, joute morale entre deux bergers dont l'un
veut mourir de peine et l'autre de rire. C'est ici, hélas! que le ciel se
voile. Tant de séduction, tant de finesse et de si beaux moyens, pour si peu
d'esprit! Où sont passées la rage, l'ironie, la cruauté de ce duo inspiré de
Battistin Stuck et qu’on croirait tiré des Liaisons dangereuses ?
Pourquoi si peu de sens ? Parce que le paisible Luc Beauséjour, maître de
son sujet comme de son instrument, s’obstine à l'émousser. Les
accompagnateurs ne manquent ni de science ni de charme, mais quatre «
nottes inégales » bien inégalisées les comblent. Théâtre, passion,
expression les effleurent épisodiquement, dans les ouvrages d'un maître qui
n'était que théâtre, passion et expression (et tendresse, soyons juste, car
l'album fait grand cas de cette passion‑là).
Alors tant
pis. Renonçons à frémir. Admirons. Admirons la lettre, admirons l'air final
d’Aquilon et Orithie, pure extase, applaudissons avec douceur ce qui dans un
paysage aride comptera parmi les plus jolis albums du genre, admirons et
remercions.
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