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Diapason # 660 (09/2017)
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Decca 4832150  Accentus
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Analyste: Gaëtan Naulleau
 

Couronnant les Suites françaises par Murray Perahia (Diapason d'or, cf no 651), Jérôme Bastianelli notait que les pianistes se pressent beaucoup moins sur ce cahier de danses que sur les redoutables Partitas. Une défaveur que l'actualité a déjà compensée avec la relecture anguleuse et saturée d'idées, quelquefois irritantes, souvent exaltantes, d'Ekaterina Derzhavina (cf no 654).

D'une Russie à l'autre, c'est à l'inverse le déficit de caractérisation, à la petite comme à la grande échelle, qui ruine la traversée en pilote automatique de Vladimir Ashkenazy (né en 1937). Faut‑il chercher dans les épreuves par lesquelles il est passé des circonstances atténuantes ? Il s'impose d'employer un minimum de pédale ‑ la plupart de ses collègues ont pourtant compris que les cIavecinistes exploitent, à leur façon, le modelé expressif des résonances. Il corsète la dynamique dans un mf que les doigts articulent vivement, sans sécheresse, mais sans trouver la diversité qui animerait un récit.

Et l'harmonie de Bach ‑ Dieu sait pourtant qu’Ashkenazy‑chef possède une oreille harmonique capable de se frayer un chemin dans n'importe quel massif postromantique ‑ ne lui inspire ni tensions ni détentes, nulle part. On sursaute à l'entrée de l'Allemande de la Suite no 4, mouvement perpétuel sec et pressé, vide des colorations, des jeux d'ombres et de lumières que tous les grands bachiens, au piano comme au clavecin, ont entendu dans ce flux de mi bémol majeur, duquel Wagner a sans doute dérivé le prélude de l’Or du Rhin. Encore plus étrange : celui qui s'est imprégné si intimement de l'art de Chopin, Tchaikovski et Rachmaninov s'interdit tout lyrisme dans Bach, et survole les noirceurs de la Sarabande en ré mineur.

Le même mouvement nous saisit sous les mains de Zhu Xiao‑Mei, qui l'approche pourtant avec une pudeur extrême. Après l'autoroute d’Ashkenazi, son album, qui nous avait laissé partagé à la première écoute, nous réconcilie avec le piano, avec Bach, avec le monde entier. L’Allemande en mi bémol redevient un lever de soleil, une naissance ; ses crescendos n'arrivent pas comme un regain d'énergie mais comme un épanouissement. Plus précieuse encore, la Sarabande de la même Suite, dont la sophistication de timbres s'efface derrière la générosité du geste léger ‑ une générosité qui ne transparaît pas moins dans la reprise pianissimo, ce n'est pas donné à tout le monde.

Ce Bach, dont chaque ligne vit à travers une gamme de phrasés et de dynamiques assez large, trouve sa stabilité sans le poids d'un cadre, par la seule concentration de l'interprète. Quelques flottements de rythmes ou de doigts (Gigue en si mineur) n'y changent rien. Zhu Xiao‑Mei, sous des dehors harmonieux, excelle à rendre sensible ce qui est étrange ou inégal dans la conduite de Bach, même au sein du menuet le plus simple a priori ( mineur !). Une demi-douzaine de danses moins convaincantes (notamment les plus vives) nous fait renoncer au Diapason d'or, qui ne s'impose pas avec la même évidence que pour l'intégrale Perahia, et pourtant nous rangeons le disque sur l'étagère certain d'y reve­nir bientôt.


 

   

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