Analyste: Philippe Venturini
LA VOIX DE SON MAÎTRE
En 1994, le film de Gérard Corbiau « Farinelli » retraçait la vie du castrat
légendaire. Il est grand temps aujourd’hui que le monde découvre l’homme qui
fut son professeur et le rendit si célèbre.
Un énième récital consacré au castrat le plus célèbre de l’histoire ?
Non : un hommage au « créateur du mythe Farinelli » comme l’explique
Philippe Jaroussky dans son introduction. Porpora fut en effet compositeur
mais aussi un professeur réputé qui accueillit à Naples le jeune chanteur
des Pouilles et le fit débuter sur scène à quinze ans. Le texte très
développé et documenté de Frédéric Delaméa permet alors de suivre les
triomphes des deux artistes à Rome, Florence et Venise jusqu’à Londres. Ce
disque, riche en inédits, s’en fait l’écho de Semiramide Regina
dell’Assiria (Naples, 1724) à Orfeo (Londres, 1736), leur dernier
opéra. Comme toute anthologie vocale, le programme suit l’indispensable
alternance entre les airs de bravoure et les moments de tendresse et débute
par un vaillant extrait d’Arianna e Teseo dans lequel Philippe
Jaroussky doit autant mitrailler des rafales de doubles croches que tenir la
note sur plusieurs mesures. Andrea Marcon et l’Orchestre baroque de Venise
prennent un plaisir manifeste à participer à ce défi marquant les temps
forts et faisant chavirer les archets. Une inévitable tempête, fût-elle
mentale (Semiramide, plage 3), entretiendra cette euphorie de la
virtuosité avec la même détermination. Mais plus que ces airs sportifs
destinés à valoriser les champions (la voix doit affronter la trompette dans
Nell’attendere il mio bene), on pourra préférer les épisodes plus
lyriques comme le célèbre Alto Giove extrait de Polifemo que
Philippe Jaroussky chante depuis longtemps, Nel già bramoso petto ou
les duos, frémissants ou malicieux, avec Cecilia Bartoli.
Si Nicola Porpora «
n’était pas un grand génie comme son rival Georg Friedrich Haendel » comme
l’affirme Philippe Jaroussky, il se montre à son meilleur et dépasse le
simple numéro de charme. L’entreprise de réhabilitation se trouve ainsi
justifiée et ce disque peut tout à fait se classer à P(orpora) plutôt qu’à
F(arinelli) !
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