WUNDERKAMMERN
(05/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Ricercar
RIC377
Code-barres / Barcode : 5400439003774
Analyste: Jean-Christophe Pucek
En cette année 2017 qui marque le
450e anniversaire de sa naissance, Claudio Monteverdi est sur toutes les lèvres,
principalement au travers de ses opéras et de son Vespro della Beata Vergine, un
peu plus rarement de ses madrigaux, ce que l’on ne peut que déplorer puisqu’ils
furent le véhicule privilégié du puissant ferment de sa révolution musicale.
L’ensemble Clematis, dont les affinités avec le répertoire italien ne sont plus
à démontrer, a décidé de mettre l’accent sur un domaine dans lequel l’apport du
Crémonais apparaît fort modeste, celui de la musique instrumentale.
Si elle est naturellement bien
présente dans son œuvre, en particulier lyrique, on ne conserve en effet de sa
plume aucun de ces sonate ou balli que nombre de ses contemporains nous ont
légués et à l’interprétation desquels il a incontestablement participé durant
les premières années de sa longue carrière où il officiait en qualité de
gambiste, ce qui ne l’empêchait nullement de publier, en parallèle, madrigaux et
chansons. Son séjour à la cour de Mantoue, d’environ 1591 à 1613, lui permit de
côtoyer quelques maîtres aguerris dans la composition de pièces instrumentales,
dont un des plus en faveur auprès des Gonzague, même si rien, dans les archives
conservées, ne démontre qu’il fut à leur service de façon autre que ponctuelle,
était alors Salomone Rossi. Bien des zones d’ombre demeurent dans la biographie
de ce musicien de confession juive que l’on suppose avec quelque raison né le 19
août 1570 et qui disparut à une date indéterminée après la dédicace de son
ultime recueil publié dans les premiers jours de janvier 1628, Madrigaletti per
cantar a due soprani o tenori. Violoniste virtuose, Rossi Hebreo, comme il se
désignait lui-même, est passé à la postérité pour deux raisons principales, la
première étant d’avoir mis en polyphonie un certain nombre de pièces de la
liturgie hébraïque (on peut en entendre quelques-unes dans un fort beau disque
de l’Ensemble Daedalus réédité par Glossa), la seconde d’avoir été un des
acteurs essentiels de la transmutation de la canzona instrumentale en une forme
appelée à connaître une immense fortune durant toute l’époque baroque, la sonate
en trio, avec ses deux dessus traités à égalité s’appuyant sur une basse
continue parfois foisonnante. Avec ses danses revêtues des noms de membres de la
cour ou faisant référence au monde musical de son temps (comme La Cecchina pour
Francesca Caccini) et intégrant parfois des éléments populaires, ses sinfonie
empreintes de théâtralité, il a indiscutablement participé à l’accession de la
musique instrumentale au statut de genre indépendant.
Il n’est pas outre mesure surprenant
que Monteverdi, toujours à l’affût des nouveautés et prompt à en faire son miel,
se soit nourri de l’environnement extraordinairement stimulant de Mantoue en ces
années de passage du XVIe au XVIIe siècle qui lui permirent sans doute également
de côtoyer Peter Paul Rubens qui effectua deux séjours auprès du duc, ce dont
témoigne l’Autoportrait entouré de ses amis à Mantoue réalisé vers 1602-1606 et
conservé aujourd’hui au Musée Wallraf-Richartz de Cologne. Compte tenu de son
intérêt pour la traduction des passions en musique qui s’aiguisa encore, dans un
double mouvement de consolidation et d’émulation, au contact de Giaches de Wert,
alors maître de la chapelle ducale Santa Barbara et par ailleurs très au fait
des innovations des cercles ferrarais, tel l’aventureux Concerto delle Dame, une
recherche dont témoigne le Troisième Livre de madrigaux publié en 1592, très peu
de temps, donc, après son arrivée à la cour des Gonzague où sa renommée allait
grandissant, Monteverdi retint essentiellement des expériences menées par Rossi
la possibilité offerte par le concert des instruments non seulement de soutenir,
de propulser (les rythmes de danse sont très judicieusement utilisés à cette fin
dans l’Orfeo) et d’unifier l’action (les ritournelles contribuant à structurer
ce même opéra en apportent un bon exemple), mais aussi d’en devenir partie
prenante en la commentant, voire en se substituant à la parole ; il est
d’ailleurs frappant de constater les jeux de miroir qui s’établirent entre
l’écriture instrumentale de Monteverdi et de Rossi dans ces années 1607-1608 qui
les virent tous deux donner naissance à des œuvres importantes (Orfeo et Ballo
delle Ingrate pour l’un, Primo Libro delle sinfonie e gagliarde pour l’autre).
S’il met en avant, pour de bien
compréhensibles raisons d’attractivité, le nom de Monteverdi, le disque de
Clematis constitue avant tout un vibrant plaidoyer en faveur de l’inventivité de
Rossi qui trouve ici des interprètes prêts à mettre à son service le meilleur de
leur talent. Pensée avec soin afin d’offrir un reflet aussi représentatif que
possible de la musique instrumentale telle qu’on pouvait l’entendre à Mantoue
durant le premier quart du XVIIe siècle (quelques-unes des pièces débordent
néanmoins de ce strict cadre spatio-temporel), cette séduisante anthologie
conjugue de belle façon variété et engagement, grâce à des musiciens très sûrs
de leurs moyens qui savent faire rimer sens de la construction et liberté,
virtuosité soliste et écoute mutuelle, cohérence de l’approche et sensualité. Le
collectif à l’enthousiasme et à la complicité perceptibles mené par le brillant
archet de Stéphanie de Failly s’y entend pour exalter les nuances et les
couleurs de ces pièces et pour souligner la théâtralité des œuvres vocales qui
ménagent des ponctuations bienvenues. Pour ces dernières, Clematis a invité le
ténor Zachary Wilder dont la voix épanouie, le tempérament généreux et souriant
sans jamais devenir ni emphatique, ni superficiel s’accorde parfaitement au
projet de l’ensemble ; ses délicieuses incarnations de Vi ricorda o
bosch’ombrosi et de Fuggi, fuggi da questo cielo le désignent comme un
interprète de choix pour le genre, plus difficile à réussir qu’il y paraît, de
la canzonetta.
Malgré une réserve sur la prise de son à la réverbération pas toujours
idéalement maîtrisée et l’emploi de deux violoncelles là où on aurait plutôt
attendu et souhaité des violes de gambe – l’instrument de Monteverdi,
rappelons-le –, ce fort joli disque à la fois ensoleillé et sensible se déguste
avec gourmandise et offre un intéressant contrepoint à d’autres réalisations
plus convenues en cette année de commémoration de la mémoire du grand Claudio.
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