WUNDERKAMMERN
(08/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Passacaille
PAS1028
Code-barres / Barcode : 5425004170286
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Parmi les constats éminemment
regrettables dans le monde musical comme il claudique aujourd’hui, le fait que
nombre d’ensembles à la démarche à la fois sérieuse et inventive soient
contraints de recourir systématiquement au financement participatif pour
enregistrer des disques alors que tant de produits insipides se gavent de
subventions a quelque chose d’assez indécent. Ainsi Tasto Solo, dont le travail
unanimement salué nous permet, depuis quelques années, de mieux entendre
l’univers sonore de la Renaissance, a-t-il dû tendre une nouvelle fois sa sébile
pour graver son programme consacré à la musique anglaise de l’époque des Tudor.
Après la période de relatif marasme
artistique qui s’était installée durant la guerre des Roses, la vie musicale se
remit à fleurir intensément en Angleterre après l’accession au trône de Henry
VII et surtout de son fils Henry VIII, de sanglante mémoire, en développant
certains particularismes dont un excellent exemple est fourni par la polyphonie
de style fleuri qui reléguait à l’arrière-plan l’intelligibilité du texte au
profit d’un étirement des lignes vocales afin de délivrer une sensation
d’apesanteur dont on trouve de précoces et éloquents exemples dès l’Eton
Choirbook, compilé à partir de 1490. Pour être une espèce d’ogre imprévisible,
narcissique et jaloux de son pouvoir, Henry VIII n’en était pas moins un amateur
de musique averti, composant à ses heures perdues ; un inventaire dressé à sa
mort en 1547 atteste qu’il possédait pas moins de 326 instruments de toutes les
familles et les manuscrits copiés dans son entourage (ou pour son propre usage
?) montrent un égal intérêt pour les musiciens d’autrefois et pour ceux de son
temps ; le souverain n’hésita d’ailleurs pas à appeler auprès de lui des talents
étrangers, notamment des claviéristes (outre du luth, il jouait lui-même de
l’orgue et du virginal), afin d’ouvrir sa cour à d’autres styles musicaux que
ceux qui prévalaient localement. Les pièces conservées de cette époque où
émergent les devanciers des réputés virginalistes anglais qui s’illustreront à
partir de 1560 environ sont inspirées soit par des chansons (ici, par exemple,
le languissant Farewell my joy ou le mélancolique I have been a foster de Robert
Cowper, ou Where be ye, my love, vigoureux anonyme), soit par la musique de
danse pour consort à cordes frottées ou pincées, une formation dont on sait à
quel point elle fut en faveur en Angleterre jusqu’au dernier quart du XVIIe
siècle pour les violes (la très enlevée The Short Mesure off My Lady Wynkfylds
Rownde), et, autre spécialité anglaise, des élaborations sur basse obstinée ou
grounds, dont certaines anonymes, comme le douloureux (et inoubliable) My Lady
Carey’s Dompe, ont pu être attribuées, sans cependant qu’aucune preuve
documentaire vienne étayer cette hypothèse, à Hugh Aston, par ailleurs auteur
d’un magnifique Maske (dont la troisième partie est vraisemblablement un ajout
un peu plus tardif attribué à un certain Mr. Whytbroke) et du virtuose Hornepype
sur lequel se referme le programme. La majorité d’entre elles révèle un don pour
la mélodie que l’on pourrait estimer spécifiquement britannique et dont la
survivance s’est maintenue jusqu’à nos jours dans le répertoire populaire ;
celui de la Renaissance avait d’ailleurs largement imprégné une bonne partie des
musiques composant ce florilège, même si elles étaient jouées dans et par la
bonne société ; les deux univers n’étaient pas aussi étanches qu’ils peuvent
l’être aujourd’hui.
Guillermo Pérez,
dans la note d’intention qu’il signe en préambule de cette réalisation, n’élude
pas le problème historique que pose l’utilisation d’un organetto pour
interpréter des pièces datant de la première moitié du XVIe siècle, puisque l’on
ignore exactement quand cet instrument tomba en désuétude et donc s’il était
encore pratiqué durant le règne de Henry VIII (1509-1547). En écoutant le disque
de Tasto Solo, à la fois virtuose et sensible, on se plaît à penser que ce fut
le cas et que le monarque et tous ces éminents personnages saisis, à l’instar de
Jean de Dinteville et de Georges de Selve, par le pinceau habile de Hans Holbein
le Jeune, ont pu goûter ces sonorités qu’ils devaient sans doute alors percevoir
comme les échos déjà lointains d’un jadis. Guillermo Pérez à l’organetto, David
Catalunya au clavicymbalum et Angélique Mauillon à la harpe insufflent à ces
musiques une vitalité et un raffinement assez incroyables, sans jamais appuyer
le trait, seulement par la force ô combien persuasive de l’humilité et de
l’intelligence qui guident leur approche. Très attentifs au caractère de chaque
œuvre, les trois interprètes, soudés par une indéniable complicité, s’y
entendent pour tisser des atmosphères tantôt enjouées, tantôt songeuses, mais
d’un ton toujours parfaitement juste et d’une finesse de touche très révélateurs
de la densité et de la profondeur du processus de réflexion qui a présidé à
cette réalisation. Gageons qu’elle n’a pas fini de glaner les récompenses de la
critique et espérons que le public saura faire bon accueil à un disque qui
réussit à être à la fois probe, inventif, informé et libre, et, qui sait,
peut-être Tasto Solo parviendra-t-il dorénavant à donner vie aux nombreux
projets qu’il porte sans avoir besoin de faire la manche.
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