WUNDERKAMMERN
(07/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Mirare
MIR326
Code-barres / Barcode :
3760127223269
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Comme à la fin d’un beau concert dont
on tente de prolonger la magie en réclamant des bis tant on redoute qu’il
s’achève, on espérait, en se retenant néanmoins de trop y croire pour se
protéger d’une éventuelle désillusion, que Pierre Hantaï reviendrait s’asseoir
au clavecin pour composer à notre intention encore un bouquet de sonates de
Domenico Scarlatti. Un an tout juste après un quatrième volume unanimement
salué, il nous offre seize nouvelles raisons de nous réjouir.
On associe tout naturellement
l’univers du compositeur de Maria-Barbara de Portugal avec celui des musiques
populaires et de leur corollaire, la danse, tous deux trouvant des échos dans
ses œuvres au travers, par exemple, de l’emploi d’effets de guitare (flagrants
ici dans Kk. 388 et 124) que le clavecin restitue avec une acuité sans pareille,
mais également de déhanchements et d’une pulsation rythmique aussi ferme que
puissante. Ce florilège nous entraîne cependant vers des expressions plus
secrètes, moins spectaculaires de son inspiration, détachées de tout
pittoresque, de toute anecdote. Il nous dévoile, d’une part, une propension à
l’abstraction qui rappelle opportunément que Scarlatti a fait ses gammes auprès
d’un père dont l’art savait s’abreuver aux subtilités du contrepoint le plus
rigoureux, et on le trouvera étonnamment proche de Johann Sebastian Bach – son
exact contemporain avec Händel, ce trio formant ce que certains musicographes
nomment la « génération de 1685 » – dans la Sonate Kk. 28, tandis que la Kk. 547
semble anticiper des tournures que l’on retrouvera chez Joseph Haydn, tout en
empruntant aux Cyclopes de Rameau que, s’il faut en croire de récentes
recherches, il a peut-être rencontré à Paris en 1724 ou 1725. Cet hommage à l’un
des grands musiciens de son temps bat en brèche l’image que l’on a parfois d’un
Scarlatti isolé en Espagne ; pas plus qu’un autre célèbre Italien installé dans
la péninsule ibérique, Luigi Boccherini, il n’a vécu à l’écart des nouveautés
artistiques de son époque et il suffit d’écouter la très galante Sonate Kk. 277
pour se convaincre de cette attention et de cette perméabilité aux nouveaux
langages qui se faisaient alors jour dans d’autres parties de l’Europe. L’autre
accent porté dans ce récital l’est d’ailleurs sur l’émergence de la sensibilité,
une notion que son importance croissante à partir du second quart du XVIIIe
siècle va même conduire à devenir, en Allemagne du Nord, un mouvement esthétique
à part entière qui s’était déjà solidement implanté et développé alors que
Scarlatti achevait sa carrière ; outre dans Kk. 277, déjà citée, qui le donne à
entendre dans son acception la plus aimable et quelque peu diluée par la
civilité, on en entendra de saisissantes préfigurations dans les Sonates Kk. 474
et 87, sur un mode faisant la part belle à la fluidité lyrique (le monde de
l’opéra ou, à tout le moins, de la cantate de chambre n’est pas loin) pour la
première et, pour la seconde, dans une atmosphère empreinte de cette mélancolie
prégnante qui s’attache à la tonalité d’élégiaque de si mineur.
L’écoute de son anthologie apporte une double confirmation, celle de la
prééminence de Pierre Hantaï en qualité d’interprète de ces sonates –
aujourd’hui, il y a définitivement son Scarlatti et celui des autres –, mais
également celle du tournant clairement amorcé dans le précédent volume vers
moins de pyrotechnie au profit de plus d’émotion. Les moyens digitaux du
claveciniste sont pourtant bien loin de se dérober, comme le démontre maint
passage débordant de brio ou enflammé par les élans chorégraphiques ; qu’il
s’agisse de faire jaillir des gerbes d’étincelles (Kk. 475) ou de tenir une
rythmique implacable qui peut aller jusqu’au trépignement extatique (Kk. 253),
toutes les difficultés sont crânement affrontées et jugulées sans coup férir.
Mais ce qui frappe tout autant est la décantation de la ligne malgré la
profusion ornementale, le soin apporté à la conduite d’un discours qui malgré
les foucades, les silences et les renversements ne perd jamais le fil (Kk. 457
ou 124), ainsi que le raffinement de la ligne de chant, tour à tour frémissante
(Kk. 474), élégante (Kk. 277) ou nostalgique (K. 87) qui délaisse les écueils de
l’outrance comme de la fadeur pour une fièvre parfaitement contenue nous
ramenant à la fois au contexte aristocrati-que dans lequel ces œuvres étaient
jouées mais également au caractère français de l’interprète. Avec sa succession
soigneuse-ment pensée non seulement afin de ménager la variété indispensable
pour maintenir l’attention mais aussi en vue d’instaurer un jeu subtil d’échos
et de ruptures entre les pièces propre à ce qu’elles s’éclairent mutuellement,
ce récital plein de vie, de couleurs et d’intelligence, enregistré avec beaucoup
de naturel, est une réussite supplémentaire à mettre à l’actif de Pierre Hantaï
dont chaque nouvelle incursion sur les terres de Scarlatti nous permet de
découvrir ou d’approfondir d’étonnantes et passionnantes facettes d’un
compositeur que bien peu de musiciens ont su nous rendre à ce point attachant.
Qu’il connaisse ou non une suite, ce voyage en cinq étapes n’en demeure pas
moins admirable en chacune de ses parties et fera date dans la discographie.
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