WUNDERKAMMERN
(08/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Harmonia Mundi
HMM90228687
Code-barres / Barcode : 3149020228623(603)
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Les expérimentations ayant conduit à
la naissance de l’opéra à la toute fin du XVIe siècle tracent un chemin
absolument passionnant où l’on peut observer différents éléments, musicaux ou
non, s’agréger progressivement pour faire finalement émerger un genre original
promis au plus brillant avenir. Se focalisant sur la période courant de 1589 à
1608, le nouveau projet de Pygmalion et de son chef, Raphaël Pichon, déploie
pour l’évoquer des moyens à la hauteur de la magnificence de la cour des
Médicis, une famille pour laquelle la musique était, au-delà de l’agrément
qu’elle dispensait, un enjeu de pouvoir, en offrant deux disques sertis dans un
livre aux contributions savantes et à l’iconographie soignée.
Mis à part pour ceux qui se
gargarisent avec le mot de « génie » sans mesurer ses réelles implications,
rien, en art, ne tombe du ciel et l’opéra n’est pas sorti tout armé des cerveaux
de Claudio Monteverdi et d’Alessandro Striggio le Jeune un beau jour de 1607.
L’histoire de la monodie accompagnée, qui le fonde en grande partie, peut être
retracée au moins dès le XVe siècle, même si son irrépressible ascension eut
lieu tout au long du suivant, lorsqu’il fut acquis que la polyphonie, qui avait
assis sa domination en grande partie grâce à la présence accrue en Italie de
musiciens venus du Nord y excellant, était impropre à rendre compte des
fluctuations des passions humaines avec l’exactitude que l’on s’imaginait alors
être celle de la musique des Anciens (Grecs, en particulier), les recherches
humanistes étant indissociables des évolutions qui se produisaient dans le
domaine artistique en se nourrissant des trouvailles des érudits, qu’elles
soient archéologiques ou philologiques. Ce désir de renouer avec l’Antiquité qui
fonde toutes les Renaissances conduisit, pour celle qui s’ébaucha dès le XIVe
siècle, à tenter de ressusciter une forme de spectacle total dont Florence,
grâce à l’impulsion de ses différents cercles intellectuels et artistiques, dont
la célèbre Camerata Bardi, fut le fer de lance. Il s’agissait d’introduire entre
les actes de pièces de théâtre fastueusement représentées à l’occasion
d’événements dynastiques importants (naissances, mariages) des intermèdes
chantés et dansés, débordants d’allusions mythologiques et d’ingénieuses
machines (n’oublions pas que ce sont sur ses capacités en la matière, et non en
peinture, que reposait en grande partie la renommée de Léonard de Vinci) afin
d’éblouir les invités mais également la population, en unissant dans un même
mouvement ambitions artistiques, diplomatiques et politiques.
L’apogée de cette pratique fut
atteint avec la représentation, en 1589, de La Pellegrina à l’occasion des noces
de Ferdinand de Médicis et de Christine de Lorraine, festivités dont la
survivance de l’essentiel du matériel et l’importance des témoignages conservés
disent assez l’événement de premier plan qu’elles furent. On fit appel, pour
l’occasion, aux musiciens et aux poètes les plus en vue de Florence – Emilio de’
Cavalieri, nommé leur directeur, Cristofano Malvezzzi, Giulio Caccini, Jacopo
Peri, Luca Marenzio, Ottavio Rinuccini, Giovanni Battista Strozzi, pour ne citer
que quelques noms encore connus aujourd’hui du plus grand nombre – pour donner
corps à six intermèdes mêlant madrigaux polyphoniques, pièces instrumentales et
monodies accompagnées. La réussite esthétique de ce projet fut si totale qu’elle
conduisit à l’émancipation de ces pièces jusqu’alors incidentes, établissant
définitivement l’idée de raconter intégralement une histoire en musique ; moins
de dix ans plus tard, en 1597 ou 1598, Peri, Jacopo Corsi et Rinuccini
unissaient leurs talents pour enfanter de La Dafne (en grande partie perdue),
acte de naissance véritable quoique encore expérimental de l’opéra, puis de L’Euridice,
éclose avec le siècle et déjà nettement plus cohérente du point de vue de
l’action et plus complexe du point de vue musical ; le rival de Peri, Caccini,
fit représenter sa propre composition sur le même texte de Rinuccini en décembre
1602 mais force est de constater que ce grand inventeur d’airs à voix seule
n’était pas aussi à l’aise avec le genre dramatique. Les métamorphoses de cette
Dafne n’étaient pas achevées ; en 1608, Marco da Gagliano la revisitait en lui
insufflant, comme l’avait fait Monteverdi l’année précédente dans L’Orfeo, plus
de vitalité et de densité émotionnelle que ses prédécesseurs florentins. Dans
une lettre adressée au cardinal Ferdinand de Gonzague, Peri ne manqua pas
d’applaudir à la réussite de son jeune confrère ; après celle des pionniers dont
il avait été une des chevilles ouvrières, une nouvelle ère s’ouvrait pour
l’opéra qui ne serait pas florentine.
De tous les ensembles français en
activité depuis une dizaine d’années, Pygmalion est sans doute le plus
versatile, puisque son répertoire discographique s’étendait jusqu’ici, avec des
degrés de pertinence divers, de Bach à Brahms. En chef insatiable, Raphaël
Pichon étend donc encore son empire avec Stravaganza d’amore ! et si l’on a
accueilli l’annonce de ce projet avec un rien de circonspection, il n’a pas
résisté longtemps à l’écoute de ce double disque mené avec une indiscutable
maestria et des moyens pour le moins impressionnants. Il faut, afin de
l’apprécier pleinement, ne pas lui demander d’être ce qu’il n’est pas et donc
garder à l’esprit qu’il s’agit bien d’une anthologie qui puise dans La
Pellegrina et les premiers opéras pour recomposer quatre intermèdes imaginaires
dans le but d’évoquer vingt années de bouillonnement créatif ininterrompu dans
les laboratoires de la cité de l’Arno. Une fois ce pacte accepté, il me semble
difficile de trouver meilleure introduction à cet univers que ces presque deux
heures de musique servies par d’excellents chanteurs qui, ne se contentant pas
de solides moyens techniques et de timbres enchanteurs (je n’en distingue
volontairement aucun car en oublier un serait injuste), ont consenti un
véritable travail d’appropriation stylistique pour sonner de la façon la plus
idiomatique possible et donner vie à leur personnage, dieu, berger ou nymphe, de
façon convaincante, par un chœur sonnant à la fois avec ampleur, ductilité et
transparence, et par des instrumentistes virtuoses et inventifs qui font à
chaque instant éclater rythmes et couleurs. Dirigé par un chef qui parvient avec
une aisance déconcertante à conjuguer précision et hédonisme, cette réalisation
est d’une ivresse permanente doublé d’un raffinement de haut vol, où l’on sent,
sous le déploiement des effets théâtraux que les pièces exigent, une
intelligence et une sensibilité bien réelles à l’œuvre. Soutenu par une
captation opulente mais maîtrisée signée, excusez du peu, par Hugues Deschaux et
Aline Blondiau, Stravaganza d’amore !, s’il ne remplace évidemment pas la
connaissance complète des œuvres dont il offre un aperçu, est un disque
généreux, utile et gratifiant qui ouvrira certainement en grand les portes d’un
répertoire finalement assez peu souvent mis à l’honneur à bien des mélomanes, et
dont l’éloquence et la conviction séduiront sans doute ceux qui le connaissent
déjà.
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