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Outil de traduction ~ (Très approximatif) |
Analyste: Gaëtan Naulleau Quelle claveciniste faisait remarquer, il y a vingt ou trente ans, que son métier n'est pas vraiment comparable aux pianistes qui montent chaque soir en scène devant un instrument noir: partir en tournée, c'était pour elle fourrer dans sa valise une demi‑douzaine de robes afin de ne pas jurer avec les instruments multicolores installés d'une salle à l'autre. Aurait‑elle seulement rêvé d'être un jour aussi finement assortie que Mahan Esfahani sur la couverture de son premier disque pour Archiv ? Clavecin, costume et lettres bleus; pieds en l'air tête en bas. Une autre image que la tignasse en pétard de Jean Rondeau mais le même symbole d'un clavecin rajeuni, qui n'est pas pour rien dans la carrière déjà brillante des deux nouvelles stars.
La comparaison s'arrête ici car on trouvera difficilement deux styles (deux approches du timbre, du rythme, du phrasé) aussi éloignés. Le rubato généreux, les arpègements incessants, le brio capricieux de Rondeau l'inscrivent entre son professeur Blandine Verlet et son ami Skip Sempé, tandis qu'Esfahahi intègre et reformule des influences très diverses. Il vénère, par exemple, la doyenne Zuzana Ruzickova. Faut‑il entendre son modèle dans la rectitude rythmique assez sévère du concerto de Bach (et un effet de registration désuet en decrescendo) ? Ou peut-être était‑ce une façon de trouver ses marques en studio avec un Concerto Köln curieusement mal préparé et imprécis ?
La vilaine prise de son qui amalgame et ternit l'orchestre loin derrière le soliste a l'avantage de masquer de nombreux décalages dans les deux mouvements vifs. Et Mahan Esfahani, s'il a mille idées, excellentes pour la plupart, et toutes dominées techniquement, les empile dans un discours trop morcelé. L’Adagio n'en souffre pas, sa concentration amère est bien celle d'un maître. La cadence de Brahms tombe impeccablement dans les plis du finale de Bach.
Le concerto referme un programme inventif dont le titre renvoie à T.S. Eliot. Ce qui est assez chic, et nullement usurpé pour un claveciniste d'une culture et d'une curiosité réjouissantes. Esfahani présente son projet dans des notes d'introduction assez sinueuses. Nous avons cru comprendre un lien entre les jeux de répétition‑déformation chers au minimaliste Steve Reich, et certaines séquences où Bach combine un motif obstiné à l'élan puissant des progressions harmoniques. Le lien conceptuel s'amincit dangereusement quand il tente d'encercler trois séries de variations sur la Follia (dont une pour orchestre, hors sujet).
Mais peu importe, le programme s'enchaîne assez bien, et le grand clavecin d'après Dulcken de Burkhard Zander, s'il n'est ni le plus raffiné ni le plus personnel, se révèle aussi efficace dans la déclamation volubile d'Alessandro Scarlatti que dans les assauts martelés de Gorecki. Piano Phase commence en coup d'éclat: Esfahani s'approprie en rerecordinq le précis minimaliste de Steve Reich. Le déphasage progressif des motifs superposés est d'abord stupéfiant par l'attaque propre au clavecin. Au bout de quatre minutes, le cliquetis brillant commence à irriter l'oreille, au bout de dix on demande grâce, puis on baisse le volume.
Disque décevant? Moins abouti que le récital C.P.E. Bach qui faisait entrer Esfahani dans la cour des grands (Diapason d'or, cf. no 624), et même que l'intégrale Rameau où il s'ingéniait, avec une imagination folle, à prendre le contre‑pied des usages établis (cf. no 629).
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