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Gaëtan Naulleau On sait depuis le disque Handel des soeurs Lesaulnier (artistes passionnées, musiciennes, acrobates, dirait la chanson) que nos jeunes intrépides n’aiment rien tant que chanter. Mais chanter vigoureusement, clamer plus que roucouler, avec l’énergie et les accents, l’élan et les contrastes des mots enfouis sous leurs transcriptions pour deux clavecins. Elles auraient pu s’en tenir, pour ce programme Bach capté sur le vif, au Concerto BWV 1061 (dans sa version sans orchestre) et à quelques sonates pour orgue, dont l’écriture en trio se prête sans résistance à une répartition entre deux joueurs, mais elles ont plutôt imaginé un patchwork haut en couleurs : l’une des six sonates (sol majeur), le dernier Brandebourgeois, deux préludes de choral, des sinfonias de cantates et des airs, dont l’un des plus lyriques de Bach, « Der Ewigkeit saphirnes Haus » de la Trauerode . On y perd un joyau de poésie baroque (« La demeure en saphir de l’éternité éloigne, Princesse, ton regard serein de notre bassesse ») mais la profondeur des plans sonores, le jeu du flou et du net, l’ampleur et la diversité extrêmement touchantes du phrasé n’ont rien à envier au modèle — même tour de passe-passe qu’hier dans le « Scherza infida » d’Ariodante. Transcrire, pour ces demoiselles, n’est pas réduire à feu doux : c’est totalement repenser les oeuvres en fonction de moyens nouveaux; comme Bach l’a fait si souvent, sans aucune mauvaise conscience pour l’original « trahi ». Elles ne craignent pas d’exacerber les contorsions doloristes que les hautbois lissent volontiers dans la Sinfonia BWV 12, elles flattent l’italianisme sensuel du début de la Cantate BWV21 au lieu d’y chercher par principe une méditation transcendante. On se grise de leur vélocité fantasque dans la Sonate en trio, où l’excitation propre au concert renforce leur sens du timing théâtral ; on n’en revient pas de voir les parties d’altos et de violes du Brandebourgeois tomber si impeccablement dans les plis retaillés — les grands gestes de prolongation harmonique gagnent un relief saisissant avec l’accumulation des résonances aux deux clavecins. Un Jesus bleibet meine Freude sans vapeurs d’encens, juvénile et joueur, referme une salutaire promenade loin de nos habitudes. |
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