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Analyste:
David Fiala Ces deux récitals s’attaquent à une même énigme : l’émergence, peu avant 1500 d’un étonnant répertoire de contrepoint instrumental virtuose (ou, disons plus prudemment : sans texte et aux profils rythmique et mélodique inhabituels dans le contrepoint vocal). Nombre de ces pièces figurent dans un manuscrit conservé à Ségovie, qui fut copié vers 1500 par un musicien flamand dans le contexte d’échanges alors intenses entre les Habsbourg des Pays-Bas et la monarchie espagnole. Au sein de ce corpus, les oeuvres du Gantois Alexandre Agricola, alors au service du jeune prince Habsbourg des Pays-Bas qui héritait des trônes d’Espagne, sont parmi les plus géniales et les plus intrigantes, entre autres par leurs titres tels que L’aveugle ne juge pas des couleurs, qui a déjà inspiré un récent récital à Graindelavoix (« Cecus », cf. n° 587). L’ensemble Qualia (trio d’organetto, vièle et flûte ou cornet) propose, pour son premier disque, une anthologie du répertoire instrumental de Ségovie complété par quelques danses et canons instrumentaux. Combinant cinq pièces d’Agricola avec six compositions du plus grand théoricien de la musique de cette époque, Jean Tinctoris, le programme souligne la dimension spéculative de tout ce répertoire, dont les subtilités de notation rythmique, le foisonnement de formules contrapuntiques répétées et autres gammes sont parfois interprétées comme la preuve d’une fonction pédagogique. L’album de Leones, à un chanteur et sept instrumentistes (cordes frottées et pincées et un cornet), s’organise autour d’une (presque) intégrale de l’oeuvre instrumentale d Agricola - leur précédent opus était consacré à celle de Josquin (« Les Fantaisies de Josquin », 2011). Il privilégie les enchaînements d’arrangements sur les thèmes les plus revisités de l’époque (De tous bien plaine, Le Serviteur), comme une succession de thèmes et variations. Ces recitals sont d’une étonnante complémentarité. Leur texte de présentation est d’ailleurs signé du même musicologue et compositeur, Fabrice Fitch, dont trois superbes miniatures « post-agrico-weberniennes » agrémentent le récital de Leones. Qualia, avec son format intimiste, l’extrême vivacité de ses phrasés et sa lecture rythmique très chaloupée (sous l’influence évidente de Pedro Memelsdorf), communique avec verve la jubilation de ces défis virtuoses et ludiques pour les doigts et les cerveaux. De son côté, Leones revendique la paternité de Crawford Young, qui avait jadis gravé un récital Agricola avec son Ferrara Ensemble (DHM, 1988) et est l’invité de ce récital. Plus introspectives, leurs violes étirent les lignes comme s’ils avaient les Lachrymae de Dowland à l’esprit, et la formation joue de toutes ses sonorités ( harpions ou cistre) avec un raffinement coloriste d’une grande poésie. Aussi séduisants l’un que l’autre tout en ne partageant que très peu de répertoire ou d’options d’interprétation, ces deux réussites livrent au grand jour toute la richesse de l’origine de la musique instrumentale moderne. |
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