WUNDERKAMMERN
(05/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Alpha
ALPHA285
Code-barres / Barcode :
3760014192852
Analyste: Jean-Christophe Pucek
La mort de Henry Purcell, le 21
novembre 1695, survenue comme une tempête inattendue faisant planer sur la
moisson du bel été que l’Angleterre musicale vivait en grande partie grâce à lui
la menace d’un anéantissement, causa une immense stupeur dont atteste le volume
d’œuvres composées à cette occasion, dont nombre sont parvenues jusqu’à nous, la
plus célèbre étant sans doute l’Ode « Mark how the lark and linnet sing » venue
sous la plume de John Blow sur un texte de John Dryden, le librettiste de King
Arthur.
On ignore tout de Jeremiah Clarke,
musicien mort à l’âge d’environ 33 ans dans des circonstances tragiques, avant
1685, date à laquelle son nom fait surface en sa qualité de membre du chœur de
la Chapelle Royale ; on estime qu’il avait alors une dizaine d’années, ce que
semble confirmer la mention « ancien enfant (du chœur) » qui est faite à son
propos en 1692, lorsque, sa voix ayant mué, il obtint le poste d’organiste de
Winchester College qu’il conserva au moins jusqu’à la fin de l’année 1695,
puisqu’il disparut des registres l’année suivante et qu’une note de William
Croft sur le manuscrit de l’Ode « Come, come along for a dance and a song » que
Clarke composa à l’occasion de la mort de Purcell indique qu’elle le fut alors
qu’il était titulaire de cette tribune. La même précieuse source précise que
l’œuvre « fut représentée sur la scène du théâtre de Drury Lane », ce qui
signifie que sa forme d’opéra miniature correspond bien à la réalité de sa
destination ; de tous les hommages dédiés à la mémoire de Purcell, il est en
effet le seul à présenter un caractère véritablement dramatique, ceux de Henry
Hall et de John Blow, bien que confiés à des personnages, n’excédant pas les
effectifs et le caractère de cantates de chambre. Chez Clarke, trompettes,
timbales, hautbois, basson, flûtes à bec, cordes et chœur sont convoqués en plus
des trois solistes (soprano, ténor et basse), ce qui confère une toute autre
ampleur à une partition dont l’allant et le travail sur le coloris font
relativiser les quelques défauts de facture inhérents à une page de jeunesse. Le
mince argument de caractère pastoral de cet acte semble tout droit inspiré de l’Orfeo
de Monteverdi, une référence qui ne doit certainement rien au hasard puisque
Purcell était considéré comme l’Orpheus britannicus : les réjouissances qui
battent leur plein durant la fête des bergers sont brutalement interrompues par
l’annonce de la mort non d’Eurydice mais de Stréphon, personnification du
compositeur, qui fait instantanément basculer l’atmosphère du côté de la
déploration et de la désolation, traduite musicalement par la mise en valeur de
certains mots (« no more », « never », « alas », « sad »), des dissonances et le
recours à une tonalité mineure, comme dans Mr Purcell’s Farewell, pendant
funèbre du Mr Clarke’s Cebell joué juste avant l’annonce du dramatique
événement.
Les deux œuvres bien connues de
Purcell proposées en complément permettent d’explorer des facettes opposées de
son inspiration. L’Ode « Welcome to all the pleasures » a été composée pour la
sainte Cécile 1683, année de la création d’une organisation nommée Musical
Society qui devait par la suite faire ponctuellement appel au musicien pour la
célébration annuelle de sa patronne. Tout comme l’ode d’hommage de Clarke, cette
première contribution n’est pas sans faiblesse, notamment en termes d’équilibre
global, mais elle offre un mélange séduisant de pompe de circonstance dans les
chœurs et d’élégance dans les airs pour solistes dont le célèbre « Here the
Deities approve », précieuse élaboration sur basse obstinée pour voix d’alto ;
notons également que cette page d’apparat s’achève pour ainsi dire sur un
murmure, ce qui détonne quelque peu au regard des lois du genre. Encore plus
célèbres au point d’en être devenues presque emblématiques sont les pièces que
l’on pensait avoir été composées par Purcell pour les funérailles de la reine
Mary II en mars 1695, tradition démentie par les recherches récentes ayant
démontré que les œuvres interprétées lors de cette cérémonie étaient
majoritairement de Thomas Morley et que l’action de Purcell s’était limitée à
écrire une marche funèbre, une canzona italianisante et à réarranger son Thou
knowest, Lord, un texte que son aîné n’avait pas mis en musique. On ignore donc
les circonstances exactes dans lesquelles ses Funeral Sentences virent le jour,
sans doute vers 1680-1682, mais Purcell y fait montre d’une indiscutable
inventivité ; elles sont organisées en trois sections contrastantes, la
première, Man that is born of a woman, économe et d’une texture assez resserrée,
préparant le feu sombre d’In the midst of life, avec ses lignes vocales
flottantes et ses chromatismes implacables illustrant le caractère transitoire
de la vie humaine, puis l’imploration finale de Thou knowest, Lord, the secrets
of our hearts, douloureuse au départ mais gagnant en confiance à mesure qu’elle
se déploie en amenant une conclusion dans une atmosphère de douce résignation
empreinte de sérénité diffuse.
Même s’il a pu montrer par le passé
certaines affinités avec le répertoire britannique, on n’imaginait pas forcément
que le Poème Harmonique, plutôt habitué ces derniers temps à tracer son chemin
sous les ors du Grand Siècle, y reviendrait au disque. En dépit de quelques
regrettables approximations s’agissant d’un ensemble historiquement généralement
bien informé, comme l’association des Funeral Sentences et de la pompe funèbre
de la reine Mary (je renvoie le lecteur, à ce propos, au superbe enregistrement
de Vox Luminis, English royal funeral music, publié en 2013 chez Ricercar), et
de quelques choix malheureux, ainsi la scission en deux parties d’In the midst
of life ou la distribution d’un contre-ténor au chant assez pâle et vibré dans
Welcome to all the pleasures, cette réalisation possède néanmoins un charme
persistant qui la fait retrouver avec plaisir écoute après écoute. Les trois
autres solistes y démontrent d’évidentes qualités, autorité et clarté pour
Katherine Watson, souplesse et théâtralité pour Jeffrey Thompson, densité sans
lourdeur pour Geoffroy Buffière, mises au service d’une belle énergie pour
défendre leur partie mais également dans les ensembles. Fidèle à leur réputation
d’excellence, les Cris de Paris livrent une prestation conjuguant allant et
discipline et se montrent aussi à l’aise dans la solennité que dans le murmure.
En grande formation instrumentale, Le Poème Harmonique se révèle parfaitement
maître de son art, soignant les lignes et les dynamiques sans négliger de varier
les couleurs avec beaucoup de pertinence ; le continuo est, comme toujours avec
lui, impeccablement tenu. Dirigeant ces forces avec l’intelligence et le souci
de l’esthétique qu’on lui connaît, Vincent Dumestre livre une vision
soigneusement équilibrée de ces partitions, mêlant à leur caractère insulaire de
séduisantes touches italiennes et françaises fort bien venues qui rappellent que
l’Angleterre, tout en poursuivant en ce dernier quart du XVIIe siècle la
constitution d’un style idiomatique, demeurait plus que jamais ouverte aux
innovations continentales.
Voici donc un disque globalement réussi, dont un des mérites est de proposer une
œuvre très peu fréquentée, l’Ode de Clarke n’ayant connu jusqu’ici, sauf erreur
de ma part, qu’une seule version, d’ailleurs supprimée du catalogue d’Hyperion,
que tout amateur de musique baroque anglaise dégustera avec plaisir, en
regrettant sans doute un peu que la Faucheuse se soit intéressée trop
prématuré-ment aux deux talentueux compositeurs qu’il rassemble.
Sélectionnez votre
pays et votre devise en accédant au site de
Presto Classical
(Bouton en haut à droite)
Pour acheter l'album
ou le télécharger To purchase the CD
or to download it
Choose your country
and curency
when reaching
Presto Classical
(Upper right corner of the page)