WUNDERKAMMERN
(05/2016)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Mirare
MIR285
Code-barres / Barcode : 3760127222859(ID569)
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Dix ans. Il aura finalement fallu
patienter – et encore ce verbe est-il partiellement inexact car il implique une
promesse qui n’avait jamais été clairement formulée – dix longues années avant
que nous parvienne un nouvel enregistrement anthologique des sonates pour
clavecin de Domenico Scarlatti par Pierre Hantaï, dont j’avais rendu compte, en
janvier 2015, du regroupement des trois premiers volumes sous coffret.
Le claveciniste n’a jamais caché
qu’il ne souhaitait pas graver l’intégralité des 555 sonates léguées par le
maître de musique de Maria Barbara de Bragance, devenue reine d’Espagne en 1729,
jugeant certaines d’entre elles « assez faibles », mais bien composer, au gré de
sa fantaisie que soutient un sens de l’agencement particulièrement aiguisé, des
récitals mettant en valeur l’inspiration volontiers kaléidoscopique d’un
compositeur capable de puiser son inspiration aussi bien dans une danse observée
sur la place d’un village – et le rapport qu’il entretient avec cet art
éminemment corporel nourrit profondément son écriture – que dans les plus
cérébraux des jeux motiviques et harmoniques. Ouvrant ce florilège, la Sonate en
la majeur K. 212 nous plonge de plain-pied dans une atmosphère toute imprégnée
par le folklore espagnol avec ces effets de guitare et ces déhanchements
qu’affectionnait tant Scarlatti et qui viennent pimenter et bousculer le flux
musical. Mais voici que K. 144 en sol majeur nous invite à quitter l’allégresse
tumultueuse voire quelque peu interlope des rues Domenico Duprà Barbara de
Bragance 1725pour gagner la lumière tamisée d’un salon où se chante une aria aux
accents d’une tendresse délicatement nostalgiques, quand, un peu plus tard, K.
456 en la majeur nous fera irrésistiblement songer aux complexes élaborations de
Johann Sebastian Bach, ou d’autres pages encore aux aimables conversations tant
prisées par le style galant. En fa mineur, K. 204a est une pièce brillante à
laquelle une forme répétitive tout en étant subtilement variée donne un
caractère obstiné presque obsessionnel et qui est le théâtre d’échanges
incessants et quelque peu turbulents entre éléments d’essence savante et
populaire. Le cœur de ce récital est néanmoins indubitablement constitué par la
vaste et assez époustouflante Sonate en mi mineur K. 402 baignée d’une ineffable
mélancolie, jamais pesante car préservée de toute noirceur par des touches
subtilement colorées et lumineuses, parcourue tout du long par un cantabile
sensible qui lui permet de s’emparer de l’auditeur en s’insinuant discrètement
en lui plutôt qu’en le terrassant, comme la reviviscence d’un souvenir plutôt
que la douleur d’une affliction. Il convient d’ailleurs de noter que si la
virtuosité, l’humour et l’audace n’en sont jamais absents – et comment
pourraient-ils l’être s’agissant de Scarlatti ! –, cette anthologie se distingue
par une certaine douceur, voire une tendresse que l’on n’associe pas
instinctivement à l’univers d’un compositeur dont on retient généralement
surtout le brillant et l’impétuosité — peut-être faut-il y voir un effet de la
tonalité de la majeur qui y tient une large place.
Une nouvelle fois, Pierre Hantaï apporte une preuve éclatante des affinités
qu’il entretient avec la musique de Scarlatti dont il est aujourd’hui, à mon
avis, un des interprètes les plus inspirés et les plus convaincants. Les plus
sensibles aussi, suis-je tenté d’ajouter, car ce récital qui mise un peu moins
sur les pyrotechnies digitales pour accorder plus de place au registre de la
confidence et du sentiment dévoile une facette du tempérament du claveciniste
qui n’était pas jusqu’ici la plus exposée. La maîtrise technique est toujours
présente, bien sûr, et elle est continuellement éblouissante, avec un toucher à
la fois ferme et d’une grande fluidité, raffiné mais sans aucun maniérisme, et
une pulsation toujours parfaitement contrôlée ce qui ne l’empêche nullement
d’être chorégraphique jusqu’à l’ivresse ; cette absence de recherche d’effet
forcé, que certains jeunes musiciens tapageurs feraient bien de méditer, rend la
musique constamment lisible malgré son caractère parfois profus et ses foucades,
et d’une beauté de chant infiniment touchante. La façon dont Pierre Hantaï
construit son discours – il suffit d’écouter comment la Sonate K. 402 se déploie
sous ses doigts pour en avoir un exemple magistral – démontre à chaque instant
la qualité de la réflexion Pierre Hantaï Jean-Baptiste Millotqu’il a menée sur
les partitions et la solidité de sa vision architecturale ; aucun détail n’est
laissé au hasard sans que la cohérence globale en soit affectée, chaque élément
est à sa juste place, avec son juste poids, et pourtant rien, dans cette
lecture, ne sonne trop apprêté ou prémédité ; au contraire, tout y semble libre,
frais, stimulant, éloquent, à mille lieues de ces disques qui en cherchant à
faire jeune paraîtront avoir dix fois leur âge dans à peine cinq ans. Servie par
une prise de son équilibrée et chaleureuse, cette réalisation réussit le pari de
s’inscrire sans hiatus dans la lignée de ses trois glorieuses prédécessrices
tout en approfondissant encore le regard porté sur les œuvres ; elle révèle
ainsi l’intelligence du projet global d’un musicien d’exception qui a préféré se
pencher en premier lieu sur certaines des pages les plus exubérantes pour mieux
s’accorder ensuite le temps de mûrir son approche des plus intériorisées. Sans
la moindre concession aux modes, en suivant son chemin d’excellence avec
ténacité, Pierre Hantaï nous offre donc avec ce quatrième volume de sonates de
Scarlatti un de ces enregistrements qui ont la saveur de l’évidence et dont on
sait que l’on y reviendra souvent. S’il s’agit de son ultime contribution à la
documentation de l’œuvre du compositeur, son entreprise s’achève en apothéose ;
s’il envisage, ce que j’espère, d’y revenir un jour, je gage que tous ceux qui
auront écouté ce récital et les précédents seront une nouvelle fois fidèles au
rendez-vous.
Sélectionnez votre
pays et votre devise en accédant au site de
Presto Classical
(Bouton en haut à droite)
Pour acheter l'album
ou le télécharger To purchase the CD
or to download it
Choose your country
and curency
when reaching
Presto Classical
(Upper right corner of the page)