ÉPREUVE DE BACH INCERTAINE
LE RETOUR DE VIKTORIA
MULLOVA DANS DES CONCERTOS POUR VIOLON DE BACH N’A PAS FAIT L’UNANIMITÉ AU
SEIN DE LA RÉDACTION DE « CLASSICA ».
~ POUR
Après des enregistrements diversement appréciés des Sonates pour violon et
clavier avec Ottavio Dantone et des Sonates et Partitas (Onyx), Viktoria
Mullova poursuit sa redécouverte de Bach « à l’ancienne ». Onyx ne détaille
pas la composition de l’ensemble instrumental probablement réduit à un
quintette à cordes. Il est en tout cas difficile de s’en assurer à cause
d’une prise de son presque brouillonne. Ce brouillard ne suffit heureusement
pas à dissuader l’appréciation d’une version les plus accomplies, les plus
spontanément lyriques de la discographie, bien plus aboutie que la
précédente lecture sur instruments modernes (Philips, 1995). À cette époque,
la violoniste et son Mullova Ensemble cherchaient. Aujourd’hui Viktoria
Mullova a trouvé. À l’opposé de certaines visions caricaturales qui estiment
qu’il faut saisir le violon comme une guitare électrique pour faire baroque,
Mullova et Dantone optent pour le cantabile et le chatoiement des couleurs.
Et dans les mouvements lents des Concertos BWV lO4l et 1042, ils n’hésitent
pas à s’abandonner à un lyrisme éperdu sans pour autant perdre la ligne
directrice. En comparaison, l’interprétation de Pablo Valetti distinguée
lors de notre écoute en aveugle du BWV 1041 paraît plus vigoureuse et plus
obstinée. Même si l’habitude parasite l’écoute des transcriptions du BWV
1053 et surtout du BWV 1060, connu comme duo pour violon et hautbois, ce
disque réserve bien des bonheurs et parvient à s’imposer dans une
discographie pourtant très riche.
Philippe Venturini
~ CONTRE
Viktoria Mullova a bien du mal à convaincre dans Bach depuis qu’elle
l’enregistre. On se souvient qu’après avoir enregistré avec succès le grand
répertoire, la violoniste avait commencé à s’intéresser aux techniques
d’interprétations portées par les « baroqueux », tout en continuant à jouer
sur instrument « moderne ». C’est dans ces conditions qu’elle avait
enregistré chez Philips un programme presque similaire à celui de ce nouveau
disque avec son Mullova Ensemble, déjà en tout petit effectif. Dans les
années 1990, la pureté d’intonation de Viktoria Mullova imposaient (sic) de
nouveaux standards aux interprétations « historiquement informées ».
Aujourd’hui, une génération de violonistes « baroqueux » a désormais acquis
une maîtrise parfaite de l’instrument - on songe à Rachel Podger ou Amandine
Beyer. Privé de cet avantage adaptatif, que reste-t-il de l’art de Mullova?
À vrai dire, rien qui la distingue vraiment des autres...
La violoniste, moins
absorbée par la rhétorique, a certes gagné en tranquillité. Cela dit, peu
aidée par une prise de son sans relief, elle ne parvient pas à moduler ce
chant aussi finement qu’une Rachel Podger ( « Choc », cf. Classica n°152),
et l’on est vite gagné devant ce déroulé tranquille par une torpeur
doucereuse, y compris dans les mouvements les plus vifs comme le Finale du
Concerto BWV l04l dont le rythme ternaire semble égalisé. Mais c’est
peut-être aussi une question d’approche de la musique de Bach, encore
considérée ici comme plus spirituelle que charnelle, alors que Pablo Valetti
et l’ensemble Café Zimmermann (Alpha), sortis vainqueurs de notre « Écoute
en aveugle » du même BWV 1047 (cf. Classica n°151), avaient su nous
convaincre qu’il y a dans cette partition une vie, une incarnation
réjouissante, qui transcendent la discipline d’écriture et même la technique
instrumentale, celle de Pablo Valetti étant moins assurée que celle de
Viktoria Mullova...
Éric Taver
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