Analyste:
Sophie Roughol
Sa présence
discrète dans bien des concerts ou disques faisait espérer beaucoup de la
première réalisation en solo du luthiste Thomas Dunford: il s'y révèle en
artiste libre de toute école, et d'une franchise de ton audacieuse. Qu'on en
juge seulement par les rubatos dont il y a peu Dominique Visse imaginait des
Ayres de Dowland en duo dessus‑basse, luth (Eric Bellocq), et consort de
violes (Satirino, cf no 611). Pour le même Dowland, Thomas Dunford, pourtant
fils de deux violistes émérites, renonce au consort et revient à l'épure
d'une pratique domestique. Programme de tubes en différentes versions:
tutti à quatre voix pour le premier Livre (Come again, Can she
excuse et sa déclinaison instrumentale la gaillarde The Earl of
Essex, Go cristall teares, Now O now I needs must part
confronté à la Frog Gaillard), dessus et basse pour le second (I
saw my Lady weepe, Sorrow stay, Flow my teares et son
Lachrimae instrumental). Seul au luth, Dunford offre encore
l'emblématique Semper Dowland semper dolens. Le choc est dans la
matière et la manière, inédites: la chair du luth est dense, opulente,
oserions‑nous dire « méditerranéenne », dénuée de toute préciosité. Une
allure follement raffinée et sensuelle à la fois, qui rejoint l'exactitude
agogique (culminant dans Can she excuse) ancrée sur la fidélité au
rythme des vers, dans un espace entre les voix exactement défini par
l'ornementation. Ajoutons que Thomas Dunford a choisi les bons compagnons:
Ruby Hugues offre une subtilité lumineuse que bouscule parfois Aain Buet.
Dénichez des instants d'éternité tel le dernier « happy » de Ruby
Hugues à la fin de Flow my teares, attisé comme un dard par la
douleur. Il est libre Thomas ? Oui, au point de convier Johny Cash, autre
« semper dolens », dans un recoin du disque. Alors, luth ou guitare ? On s'y
perdrait
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