WUNDERKAMMERN
(08/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Hyperion
CDA68180
Code-barres / Barcode :
0034571281803
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Par un singulier paradoxe, il m’aura
fallu attendre son dixième disque pour m’exprimer sur le travail de Cinquecento,
dont j’achète pourtant systématiquement chaque nouvel enregistrement et qui ne
m’a que rarement laissé sur ma faim. Cet ensemble de voix masculines fondé en
2004 s’est fait une spécialité de documenter la vie musicale dans le vaste
territoire des Habsbourg, en alternant compositeurs célèbres ou plus obscurs.
Après une incursion en demi-teintes dans le vaste catalogue de Roland de Lassus,
il laisse derrière lui Munich pour diriger ses pas vers la principauté de Liège.
Le nom de Jean Guyot n’évoque plus grand chose aujourd’hui ; l’homme fut
pourtant reconnu de son vivant non seulement pour ses qualités de musicien, mais
également d’humaniste, dont atteste son dialogue Minervalia publié en 1554,
alors qu’il était chapelain et sous-chantre depuis huit ans à la collégiale
Saint-Paul de Liège. Comme nombre de biographies d’hommes du XVIe siècle, la
sienne comporte nombre de lacunes, dont la première concerne son année de
naissance que l’on s’accorde à fixer vers 1520 à Châtelet, un lieu qui lui
vaudra le surnom de Castileti. Issu d’une famille aisée, il reçut une éducation
soignée ; inscrit à la prestigieuse université de Louvain en 1534, il en sortit
bachelier ès-arts en mars 1537. Installé au début de la décennie 1540 à Liège où
l’essentiel de sa carrière allait se dérouler, ses premières œuvres musicales
sortirent des presses de Tielman Susato en 1546 et 1547 et commencèrent à
asseoir sa réputation ; elle était suffisamment établie à la charnière des
années 1557-1558 pour lui permettre de succéder à Zacharias Gransyre au poste de
maître de chant de la cathédrale Saint-Lambert, puis d’être appelé à Vienne en
1563 pour remplacer le maître de chapelle Pieter Maessens, mort quelque temps
plus tôt. Son séjour dans la capitale impériale, s’il marqua, à la faveur des
effectifs plus étoffés dont il disposait sur place, une sensible évolution de
son style vers plus d’ampleur, ne dura guère plus d’une année ; la mort de
l’empereur Ferdinand Ier le 25 juillet 1564 entraîna la dissolution de sa
chapelle et le renvoi des musiciens qui y travaillaient, remplacés par ceux du
nouveau souverain, Maximilien II. Guyot rentra donc à Liège où il semble qu’il
n’ait pas repris son poste de directeur musical, tout en ne cessant néanmoins ni
de composer – son imposant Te Deum, datable du début de la décennie 1580, est le
fruit magnifique de ses dernières années, un résumé de son art qui fait la part
belle aux contrastes et à la recherche d’une riche sonorité –, ni de prodiguer
ses conseils aux jeunes musiciens. Il mourut dans la cité mosane le 11 mars
1588.
Le programme de ce disque permet de
se faire une excellente idée du style de Guyot et de son évolution. S’il demeure
toujours partisan de textures polyphoniques denses, comme le démontre par
exemple le motet marial O florens rosa dont la sobriété engendrée par une
écriture assez compacte est néanmoins démentie par quelques altérations
fugitives, on retiendra également sa capacité à unifier ses œuvres en utilisant
des motifs musicaux récurrents, ainsi sur le mot « alleluia » du Te Deum Patrem,
à faire saillir certains mots ou passages des textes, comme dans Prudentes
virgines sur la parabole des vierges sages et des vierges folles (« clausa est
ianua », « uigilate »), et à varier les rythmes soit par des changements de
mesure (Omni tempore benedic Deum), soit par l’introduction d’effets
discrètement théâtraux (les variations de l’interjection « Noe » dans Noe, noe,
genuit puerpera). L’impression d’ensemble demeure toujours placée sous le signe
de la fluidité, de la grâce même lorsqu’il s’agit de chanter les louanges de la
Vierge dans Ave Maria/Signum magnum, avec une évidente recherche d’harmonie
évoquant des peintres qui, tels Michiel Coxcie, préférèrent suivre la voie «
classique » de Raphaël plutôt que souscrire sans réserve au maniérisme apparu
dans les années 1520.
Avec ce disque consacré à Jean Guyot, les cinq chanteurs de Cinquecento,
rejoints par le contre-ténor David Allsopp dans les pièces à six voix, signent
une brillante réussite à laquelle, même après une quinzaine d’écoutes, je ne
parviens pas à trouver de faiblesse qu’il s’agisse de la mise en place,
millimétrée, de l’intonation, assurée, ou de l’approche du répertoire,
soigneusement pensée. Tout dans cette réalisation, y compris la captation
idéalement équilibrée effectuée dans la très belle acoustique de la Chartreuse
de Mauerbach, respire l’évidence et la luminosité, fruits d’un travail de
préparation que l’on devine sans peine marqué du sceau d’une exigence
perfectionniste ; pourtant rien dans cette polyphonie aux lignes limpides malgré
leur densité, dans ces frottements harmoniques subtilement amenés, ne sent
l’effort ; l’engagement des musiciens élimine toute dérive éthéréenne, leur
évidente complicité les soude sans pour autant que leur personnalité se
dissolve, la liberté et la maturité de leur interprétation trouvent pour chaque
pièce la pulsation idoine et l’éclairage le plus séduisant. Toutes ces qualités
font de cette heure de musique un moment privilégié durant lequel le temps
semble se suspendre pour mieux entraîner l’auditeur dans les entrelacs moirés et
raffinés imaginés par le compositeur. Confirmant la place éminente de
Cinquecento parmi les ensembles dédiés au répertoire de la Renaissance, ce
disque mérite de rejoindre la collection de tout amateur et l’on attend d’ores
et déjà son successeur avec beaucoup d’espoir.
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