WUNDERKAMMERN
(08/2016)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Alpha
ALPHA963
Code-barres / Barcode :
3760014199639 (ID555)
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Chère Benoîte,
Depuis combien d’années ne m’étais-je
plus promené dans les allées de Versailles ? Mon peu d’appétence pour Paris, où
je m’arrange toujours pour ne faire que passer et le plus brièvement possible,
m’éloigne fatalement de ce lieu où le pouls de l’histoire est encore perceptible
et en particulier de ses jardins, que je goûte infiniment plus que le château.
C’est pourtant en déambulant dans l’impressionnante galerie bordée par les
tableaux de batailles qui lui donnent son nom, ce greffon du XIXe siècle voulu
par Louis-Philippe, que je me suis pris à songer aux célébrations des victoires
d’autrefois.
Le Grand Siècle eut souvent
l’occasion de vibrer aux accents éclatants du Te Deum, cette hymne que l’on
revêtait de la musique la plus solennelle, la plus chamarrée pour remercier Dieu
de la bonne fortune des armées, du retour de la paix, de la naissance d’un
héritier de la couronne ou du rétablissement de la santé du roi. De Lully à
Charpentier à plusieurs reprises, de Lalande à Marais, dont l’ouvrage est perdu,
jusqu’à Gossec et Philidor, ce dernier trois années seulement avant qu’éclate la
Révolution, nombre de musiciens ont eu à exercer leur talent pour faire rutiler
ce chant de louanges. Parmi tous ceux-ci, Henry Madin n’a pas été le mieux
traité par la postérité alors qu’il jouissait d’une enviable réputation de son
vivant, ayant réussi à se hisser en 1738, dix ans tout juste avant sa mort,
jusqu’à la fonction de sous-maître de la Musique de la Chapelle du roi Louis XV,
pour le service duquel il avait été pressenti en 1736 après un parcours
professionnel quelque peu tortueux qui l’avait conduit à occuper majoritairement
des fonctions de directeur musical de maîtrises, à Meaux dès 1719 – imaginez
combien un jeune prêtre âgé d’à peine 21 ans put être impressionné d’y côtoyer
quotidiennement un érudit de la trempe de Sébastien de Brossard – puis dans sa
ville natale de Verdun de 1726 à 1730 avant qu’il gagnât Bourges (1731-1736)
tout en ayant également un poste à Tours qu’il quitta à la fin de l’année 1737
pour diriger la maîtrise de Rouen jusqu’en 1741, année au début de laquelle il
fut nommé, sans obligation de résidence compte tenu de ses obligations à la cour
qui devaient bientôt s’étendre à la formation des pages de la Chapelle du roi,
chanoine de l’église royale de Saint-Quentin.
Que pouvait bien avoir présent à
l’esprit le fils d’un soldat de Galway l’ayant laissé orphelin avant qu’il eût
atteint l’âge d’un an en composant, sur l’ordre de son souverain, le Te Deum qui
retentit à Sainte-Geneviève de Paris le 17 novembre 1744 pour célébrer une
victoire militaire, à savoir la prise de Fribourg ? Je répugne, comme vous le
savez, à considérer les œuvres au travers du prisme de la biographie, sauf quand
l’auteur encourage lui-même plus ou moins explicitement à le faire, mais comment
ne pas relever qu’au milieu de toute cette pompe de circonstance, Madin a semé
de nombreux passages ayant recours au mode mineur qui viennent faire planer sur
un péan d’apparat gonflé d’allant claironnant des lueurs plus sombres et
recueillies, comme s’il s’agissait subrepticement de rappeler que les batailles
ne sont gagnées qu’au prix du sang des Hommes et que la paix qu’elles apportent
n’est jamais certaine ? Écoutez également comment le verbe speravimus (nous
espérons) est mis en valeur dans l’ultime récit (pour dessus) précédant la
péroraison du In te, Domine, speravi et vous sentirez sans doute, tout comme
moi, l’inquiétude diffuse qui sinue sous l’éclat des dorures. Comme le démontre
le succès durable que connut au Concert Spirituel son grand motet Diligam te,
Domine, composé sept ans plus tôt, Madin était parfaitement maître de son art et
parvint à opérer une synthèse probante entre la solennité versaillaise propre à
donner à sa musique une indiscutable prestance, les tournures plus galantes à la
mode en ce second quart du XVIIIe siècle qui leur confère un charme tout de
fluidité et de grâce, et un sens dramatique visant à leur insuffler la tension
indispensable pour soutenir et relancer l’intérêt, même s’il ne se départ pas
d’une certaine retenue que n’observeront pas des musiciens plus jeunes et plus
frottés que lui à la scène, comme Mondonville, auteur de motets à grand
spectacle.
Sauf omission de ma part, les
enregistrements consacrés à Madin se comptent sur les doigts d’une seule main,
un de l’Ensemble Almasis (Arion, 1998) avec deux messes et quelques petits
motets, et un autre, remarquable, du Concert Lorrain (K617, 2007) proposant des
motets à deux dessus « avec ou sans simphonie » issus d’un recueil de 1740.
L’enregistrement réalisé en concert à la Chapelle royale de Versailles, dont
l’acoustique réputée difficile est ici superbement maîtrisée par l’alchimiste du
son qu’est Aline Blondiau, du Te Deum et du Diligam te, Domine par les forces
réunies d’un sextuor de solistes rompus aux exigences de ce répertoire, des Cris
de Paris et de Stradivaria placés sous la direction informée et attentive de
Daniel Cuiller est une aubaine auquel aucun amateur des fastes royaux d’Ancien
Régime – et je sais que vous l’êtes, chère amie – ne saurait rester indifférent.
Tous les participants à cette aventure s’emploient à donner le meilleur
d’eux-mêmes pour faire de cette résurrection le meilleur plaidoyer possible en
faveur de l’art de Madin et y parviennent assez largement ; on objectera sans
doute, non sans raison, que l’art du Verdunien n’égale pas celui de son confrère
Campra, mais il serait néanmoins dommage de se priver des trésors de raffinement
qu’il déploie dans ces deux œuvres. Malgré quelques fluctuations passagères, les
solistes font ici très bonne impression et l’on regrette que le livret du disque
n’indique pas précisément qui chante quoi et ne permette donc pas d’adresser à
chacun les louanges qu’il mérite ; le chant est ici globalement très bien tenu
et savant, et si quelques petites préciosités ponctuelles n’ont pu être évitées,
notamment du côté des hautes-contre, il est évident que l’on a pris soin de
rendre les textes avec toute la dimension sensible qu’ils requièrent. Les Cris
de Paris, en formation d’une petite vingtaine de choristes, sont fidèles à leur
réputation de cohésion, de souplesse et de discipline et Stradivaria est en
excellente forme, avec une justesse d’intonation, un sens des nuances et des
dynamiques rarement prises en défaut, ainsi qu’une palette de couleurs très
séduisante. Saluons Daniel Cuiller pour être parvenu à galvaniser toutes ces
belles individualités afin de les mettre au service, avec élégance et énergie,
d’un authentique projet à la fois artistique et patrimonial.
Il est bientôt la demie de midi et
mon estomac qui commence à crier famine me contraint à vous abandonner, chère
Benoîte ; je reviendrai tout à l’heure flâner entre bosquets, fontaines et
parterres en tentant d’imaginer le parcours que vous avez vous-même emprunté il
y a quelques semaines dans ce jardin que vous affectionnez.
Mes meilleures pensées vous
rejoignent en vos terres de Bourgogne.
Versailles,
août 2016
Sélectionnez votre
pays et votre devise en accédant au site de
Presto Classical
(Bouton en haut à droite)
Pour acheter l'album
ou le télécharger To purchase the CD
or to download it
Choose your country
and curency
when reaching
Presto Classical
(Upper right corner of the page)