WUNDERKAMMERN
(05/2016)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Arcana
A393
Code-barres / Barcode : 3760195733936(ID547)
Analyste: Jean-Christophe Pucek
La période qui, en Italie, court du
dernier quart du XVIe siècle aux quarante premières années du suivant, fait
probablement partie des plus passionnantes dans l’histoire des arts, en
particulier des deux qui nous occupent essentiellement ici, la musique et la
peinture ; elle voit l’éclosion de décennies de recherches et de tâtonnements
visant à exprimer les passions de l’âme humaine de façon toujours plus
individualisée et efficace tout en préservant l’énergie insufflée au monde des
idées par la démarche humaniste. Si les deux figures centrales de cette époque
d’effervescence sont incontestablement, si l’on en juge par l’impact qu’eurent
leurs œuvres, Claudio Monteverdi et Le Caravage, ces deux révolutionnaires ne
sont naturellement pas tombés du ciel et il suffit d’observer d’un peu plus près
ce moment du temps à la liberté fascinante pour s’apercevoir qu’il est
littéralement constellé de personnalités remarquables.
Giulio Caccini et Jacopo Peri, tout
autant que Monteverdi, contribuèrent à engager l’art musical dans la voie de ce
que nous appelons aujourd’hui la modernité ; pourtant, le geste qui les animait
était éminemment rétrospectif, puisque leur objectif avoué était de ressusciter
la musique de cette Antiquité idéalisée et par là même inaccessible qui les
faisait tant rêver et dont ce qui ne s’appelait pas encore l’archéologie faisait
régulièrement, à l’instar des érudits qui, durant les siècles précédents,
avaient fait sortir les manuscrits des monastères, remonter des vestiges à la
surface d’une terre qui en semblait toujours plus prodigue. La figure d’Orphée,
qui donne son titre au récital d’Angélique et Marc Mauillon, eut très tôt la
faveur des humanistes (je renvoie le lecteur curieux à la présentation du disque
du Miroir de Musique sur le même sujet) à cause de sa charge symbolique ; il
est, en effet, celui dont la science parvient à charmer les bêtes sauvages
personnalisant les forces brutes de la barbarie, mais également celui qui ramène
ce que l’on croyait mort à la lumière du jour ; au fond, tout humaniste est un
Orphée auquel on aurait permis et même enjoint de se retourner pour mieux
admirer les beautés du passé en éprouvant, dans le même mouvement, un intense
serrement de douleur nostalgique devant la certitude que ce temps heureux ne
reviendrait pas.
Si leur extraction comme leur
parcours opposaient Caccini, fils de charpentier, et Peri, prompt à revendiquer
une noble ascendance florentine, tous deux se firent remarquer par leur capacité
toute orphique à chanter en s’accompagnant avec un instrument à cordes pincées,
luth ou chitarrone, les qualités vocales du premier ayant, si l’on en croit les
témoignages contemporains, dépassé en sensibilité celles du second, qui se
distinguait plutôt par le caractère savant de ses exécutions ainsi que par sa
virtuosité aux claviers. Dans leur volonté de restaurer la puissance expressive
de la parole telle qu’elle irriguait la tragédie antique, en particulier
grecque, les deux hommes qui se côtoyèrent très probablement au sein de la
progressiste Camerata florentine qui se réunissait chez Giovanni Bardi depuis
1573, cercle de réflexion autant que musical, en arrivèrent à la conclusion que
la polyphonie qui constituait alors la norme était impropre à servir leur
dessein, car elle ne favorisait pas assez l’intelligibilité du texte ; le
recitar cantando, ou monodie accompagnée, pouvait alors prendre son envol. Ces
Nuove Musiche, pour reprendre le titre des deux ouvrages à la fois anthologiques
et théoriques, car assortis de préfaces visant à expliquer sa démarche, publiés
par Caccini en 1602 et 1614, qui libèrent la voix en lui permettant une plus
grande variété d’ornements et font glisser la polyphonie vers la basse continue,
constituent une véritable révolution dont les ferments vont donner naissance à
l’opéra, un genre dans lequel Peri va brillamment s’illustrer quand son rival
sera plus constamment préoccupé de la monodie, puisqu’on lui doit Euridice
(octobre 1600), le premier essai intégralement conservé dans un genre promis à
un bel avenir. Il est particulièrement intéressant de noter que l’unique recueil
de monodies conservé de Peri, les Varie Musiche (1609, augmenté en 1619), ne
comporte pas de préface, comme si le compositeur souhaitait laisser à son aîné
la tâche de formaliser une invention qui était peut-être regardée comme la
sienne. Traversés par le souci constant de cacher l’art sous un air de
décontraction soigneusement étudié afin de donner l’illusion du naturel, cette
fameuse et intraduisible notion de sprezzatura créée par Baldassare Castiglione,
ces airs ouvrent une nouvelle ère dans la traduction des passions en musique,
centrée sur le pouvoir qu’ont les mots, lorsqu’ils sont efficacement mis en
valeur, de toucher l’auditeur au cœur. Parlait-on encore des deux Orphée rivaux
lorsque Diego Velázquez arriva à Rome, sans doute à l’automne de 1629 ? Caccini
était mort depuis plus de dix ans et il restait à Peri à peine trois années à
vivre. La Forge de Vulcain, qui date du premier séjour dans la ville éternelle
du peintre de Philippe IV, nous parle pourtant également du pouvoir de la
parole, celle d’Apollon venu apprendre son infortune au divin forgeron,
l’artiste ayant justement choisi d’immortaliser l’instant où la profération de
la nouvelle déclenche chez les personnages présents une palette d’émotions
variées, rendues avec une acuité saisissante par le maître espagnol.
Voici donc une
anthologie de fort belle facture qui donne à entendre un répertoire aux
implications historiques passionnantes dont on peut dire qu’il n’est pas
sur-représenté au disque comme au concert en dépit des nombreuses beautés qu’il
recèle. N’est-ce pas une excellente raison supplémentaire de succomber à
l’enchantement que nous proposent les deux Orphée d’hier et d’aujourd’hui ?
Sélectionnez votre
pays et votre devise en accédant au site de
Presto Classical
(Bouton en haut à droite)
Pour acheter l'album
ou le télécharger To purchase the CD
or to download it
Choose your country
and curency
when reaching
Presto Classical
(Upper right corner of the page)