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Diapason # 658 (06/2017)
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Soli Deo Gratia 
SDG725



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Analyste: Jean‑Luc Macia

Quelle évolution! En 1988, John Eliot Gardiner gravait la Matthäuspassion en studio, avec un casting de luxe: outre l'Evangéliste inspiré d’Anthony Rolfe‑Johnson, Barbara Bonney, Ann Monoyios, Anne‑Sofie von Otter, Michael Chance, Howard Crook, Olaf Bär, Cornelius Hauptmann, et le Jésus d'Andreas Schmidt! L’album marquait les esprits par un élan intensément théâtral, des tempos toujours allants, des enchaînements stupéfiants dans les grands tableaux avec turbae.

Vingt‑huit ans plus tard, le chef du Monteverdi Choir a été transformé par son « Bach Pilgrimage » de l'an 2000. Plus question de studio, vive la concentration et la continuité du live. Plus de stars mais, à l'exception de l'Évangéliste et de Jésus, des choristes sortant du rang, pour la plupart assez jeunes. Une prise de risque ? Mais assumée au terme d'une longue tournée mondiale (seize villes), qui s'achevait à la cathédrale de Pise. Choristes et instrumentistes ont engrangé non seulement une formidable expérience mais aussi des charges d'émotion qui donnent à cette version, à la fois fervente et intime, une aura très particulière. 

Le choeur d'entrée annonce la couleur: là où les « Sehet » étaient, en 1988, des apostrophes urgentes, les mêmes paroles sont, cette fois, comme adoucies, contenues par une sorte de recueillement vibrant qui nous plonge dans une problématique spirituelle plus que dans un drame théâtral. Tout au long de la Passion, Gardiner installe une fluidité rythmique, presque une légèreté expressive qui se déchire brusquement à des moments clefs où l'émotion nous submerge. Cela peut créer des chocs grâce à des turbae mouvementées. L'intrusion des éclairs et du tonnerre par le choeur dans le duo « Sa ist mein Jesus » (NO 27) vous cloue dans votre fauteuil. 

Les récitatifs véhiculent la même panoplie sensorielle avec James Gilchrist, impeccable diseur, plus spontané que Padmore (avec qui il se partageait la tournée). Il évite toute emphase mais nous peint avec d'infinies nuances le drame qui se joue sur le Golgotha jusqu'à ce que la véhémence surgisse des dialogues et des choeurs comme au moment où, dans la deuxième partie, les juifs réclament à Pilate la crucifixion (Nos 45 à 50). À ce tournant, d'ailleurs, une émotion palpable gagne l'interprétation sans débordement aucun, sans effets excessifs mais grâce à une sensibilité exacerbée toujours intériorisée.

Certes Loges n'est pas le Jésus le plus impressionnant de la discographie mais son chant est de bonne tenue malgré un grave tronqué. Plusieurs solistes alternent dans les airs. Si, parmi les altos, le contre‑ténor Reginald Mobley paraît bien transparent, Eleanor Minney séduit par son timbré fruité et son style raffiné dans un splendide « Können Tränen » (No 52) et dans un renversant « Erbarme Dich», où brille le violon éthéré de Kati Debretzeni. Parmi les sopranos, se. détache Hannah Morrison (splendide «Aus Liebe»). De fait, il serait absurde de comparer tous ces jeunes chanteurs qui, avec leurs moyens pas toujours exceptionnels, s'impliquent avec un naturel et une passion touchants. Les instrumentistes ont leur part dans cette réussite: écoutez les bois diaphanes qui dialoguent avec miss Morrison dans « Aus Liebe » déjà cité, ou encore la viole de gambe de Reiko Ichise ponctuant d'arabesques ténébreuses le chant de la basse Ashley Riches dans « Komm, süsses Kreuz ». Le tout donne le sentiment qu'une troupe à la cohésion infaillible, drivée par un chef qui sait questionner et construire son Bach, nous livre une fresque des dernières heures du Christ sans morbidité ni éclats incongrus, mais dans une atmosphère d'une réelle profondeur spirituelle où mille détails sont mis en exergue. 

Reste au studio de 1988 un avantage indiscutable, et conséquent: la clarté sonore qu'une captation en concert, dans une nef importante, ne peut égaler. Les graves ont semble‑t‑il été rabotés pour que la réverbération n'affecte pas trop les contours, mais le Monteverdi Choir y perd une partie de son relief légendaire, et l'esprit de dialogue, entre voix et instruments, que Gardiner rend à Bach est neutralisé par la pauvreté des timbres. Mais il en faudrait plus pour gâcher notre émotion.

 

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