WUNDERKAMMERN
(01/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Paraty
PARATY416145
Code-barres / Barcode : 3760213650443
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Après y avoir connu de splendides
heures de gloire, la viole de gambe, en perdant peu à peu de son lustre face (à)
la faveur grandissante du violon et du violoncelle, commença à s’éclipser
lentement de la scène musicale française dès le début de la décennie 1730 ; la
mort de Marin Marais en 1728, la retraite d’Antoine Forqueray en 1731, les deux
hérauts aux tempéraments notoirement opposés de l’instrument, contribuèrent à
accélérer ce processus de désuétude. Il restait cependant assez d’amateurs pour
que de nouveaux recueils continuent à paraître pendant encore une vingtaine
d’années, comme en atteste la publication en 1747, par les soins de son fils
Jean-Baptiste, des Pièces de viole de Forqueray le Père.
Dix auparavant était apparu, avec le
numéro d’opus 2, un recueil portant le même titre signé par Charles Dollé, qui
livra également au public, toujours en 1737, une collection de sonates en trio
formant son « premier œuvre », vingt-cinq pièces de caractère pour pardessus de
viole (op. 3) et dix sonates, duos et pièces pour pardessus de viole, viole,
violon et flûte (op. 4) de style italianisant. Cette floraison simultanée de
volumes, dont l’opus 2 dédié à une personnalité en vue, Victor-Amédée Ier,
prince mélomane de Savoie-Carigan, intendant des Menus-Plaisirs de Louis XV qui
mourra ruiné quatre ans plus tard, est le signe que le musicien jouissait alors
d’une certaine renommée ; pourtant, on ignore presque tout de son parcours. Les
pages de titre de ses recueils nous indiquent qu’il demeurait à Paris, dans la
paroisse de Saint-Germain l’Auxerrois, et nous permettent de délimiter sa
période d’activité, de 1737 à 1754, année de son sixième et ultime opus, des
sonates pour deux pardessus de viole sans basse qui, l’indication est
révélatrice, peuvent se « jouer également sur deux violons » et sont d’ailleurs
écrites dans un style qui tend franchement à se rapprocher de la pratique de cet
instrument. On est réduit à des conjectures pour tout le reste, comme le
probable apprentissage de Dollé auprès de Marais, dont il reprend certains
éléments de technique et quelquefois d’expression, et auquel il élève un
touchant Tombeau dans la Suite en ut mineur de son œuvre deuxième.
À l’instar d’un portraitiste comme
Louis Tocqué qui fit souffler sur le noble héritage de Hyacinthe Rigaud
l’amabilité dominante dans le domaine des arts sous le règne de Louis XV, notre
mystérieux musicien s’inscrit dans la lignée des gambistes du Grand Siècle, mais
avec un goût plus marqué pour une fluidité mélodique qui regarde du côté du
style galant. Les trois suites composant les Pièces de viole débutent toutes, de
façon canonique, par un prélude de forme libre puis voient se mêler mouvements
inspirés par la danse et pièces de caractère, ces dernières étant les plus
largement représentées, sauf dans la Troisième suite en la majeur, à
l’alternance presque régulière, où cette prédominance est inversée. Globalement,
à l’exception de morceaux comme la Fugue de la Première suite (et encore
n’affiche-t-elle pas une rigueur implacable) ou de la majorité de ceux qui
constituent la Deuxième suite empreinte du sérieux de la tonalité d’ut mineur et
dont le Tombeau de Marais le Père constitue le sommet émotionnel, le ton est
plutôt léger, avec parfois de tendres inflexions (le lyrique Prélude de la
Troisième suite) qui nous font clairement sentir que nous sommes à l’époque où
fleurissaient François Boucher et Nicolas Lancret, mais sans pour autant verser
dans la frivolité. Le Tendre Engagement, La Favorite, La Badine ou Les
Amusements, titres bien dans le goût de leur temps, savent, tout comme le
Tambourin et autre Musette apportant dans leur sillage un bruissement d’opéra,
se détendre voire s’ébattre tout en conservant dignité et retenue, et si Dollé
ne fut pas sans être instruit des innovations du langage ultramontain, il tint à
inscrire ses Pièces de viole, notablement sans courantes et sans gigues, dans la
tradition française qui avait tant contribué à l’éclat d’un instrument dont il
sentait avec peut-être plus d’acuité que certains de ses confrères, ce dont
atteste son intérêt pour le pardessus de viole interchangeable avec le violon,
qu’il était entré dans l’automne de son existence.
J’écrivais en
juillet 2011, après avoir assisté à un concert dans lequel il tenait la seconde
partie de viole au sein de l’ensemble La Rêveuse : « il faut saluer en Robin
Pharo, un élève de Christophe Coin, un futur espoir de la viole, tant son jeu
corsé mais déjà plein de finesse et de concentration semble prometteur. » Le
jeune homme d’alors presque vingt-et-un ans qui, avec une discrétion bienvenue
qui change du narcissisme tapageur de certains de ses pairs, prête ses traits à
« L’Anonyme Parisien » auquel il a courageusement choisi de consacrer son
premier disque, a fait du chemin depuis et cet enregistrement démontre, dans les
deux sens de l’expression, qu’il a bien grandi. Caractère, finesse et
concentration sont toujours présents, mais s’y ajoutent aujourd’hui une
assurance sans morgue et une maîtrise pleine de souplesse, tour à tour élégante
et mordante, témoignant que le beau talent entrevu il y a plus de cinq ans n’a
pas été laissé en friche, au prix d’un travail assidu qui a permis à de belles
qualités techniques mais également humaines de se développer. La réalisation que
nous offre aujourd’hui le gambiste est, en effet, le travail d’une bande d’amis
musiciens qui ont à l’évidence coutume de et plaisir à jouer ensemble, et savent
transmettre à l’auditeur aussi bien leur énergie que leur émotion, comme le
prouvent la Sarabande et le Tombeau de la Suite en ut mineur à la fois
frémissants et pudiques, deux temps forts d’un parcours qui n’en est pas avare.
Saluons donc, au même titre que le soliste, un continuo qui sait insuffler ce
qu’il faut de sensualité (Ronald Martin Alonso, très chaleureux à la viole de
gambe), de légèreté et d’alacrité (Thibaut Roussel, tantôt diaphane, tantôt
percutant au théorbe et à la guitare baroque), de profondeur (Loris Barrucand
d’une grande densité à l’orgue positif) et de libres étincelles (Ronan Khalil,
pétillant et charmeur sur une fort belle copie de Hemsch) pour que l’alchimie
fonctionne à tout coup et sans jamais surjouer, qu’il s’agisse de s’attendrir,
de badiner, de pleurer ou de danser. Menée par l’archet exigeant et attentif
d’un Robin Pharo qui a pris l’exacte mesure de ce répertoire et sait lui faire
exprimer ce qu’il a de plus séduisant en n’hésitant parfois pas à se mettre en
danger pour atteindre une expressivité maximale, cette joyeuse compagnie
musicienne, captée avec précision et empathie par Mathilde Genas, nous offre un
disque réussi et terriblement attachant car plein d’élan, de fraîcheur et de
générosité, que je vous recommande sans hésitation. Puissent beaucoup de
compositeurs méconnus bénéficier encore du regard connaisseur de Robin Pharo et
de ses compagnons.
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