WUNDERKAMMERN
(03/2016)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Evidence Classics
EVCD021
Code-barres / Barcode : 3149028092028
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Depuis l’apparition sur la scène
discographique, au début des années 1990, d’une joyeuse bande de musiciens qui
avait pris le nom de la Cappella della Pietà de’ Turchini et eu le discernement
de se faire épauler par le musicologue Dinko Fabris, les archives musicales de
Naples ne cessent de nous livrer des témoignages de la fabuleuse vitalité
artistique de cette cité aux XVIIe et XVIIIe siècles. On a cependant vu assez
peu d’ensembles français se risquer dans l’exploration de ce répertoire au
dramatisme souvent exigeant et c’est donc non sans une certaine surprise que
l’on a appris que le choix du tout jeune Escadron Volant de la Reine s’était
porté sur lui pour son tout premier enregistrement.
Une célébrité, deux méconnus, voici
pour les ingrédients d’un programme conçu comme une évocation d’un des temps
forts de l’année liturgique dans l’Occident chrétien, la Semaine sainte au cours
de laquelle prenait place l’office de Ténèbres, dont les amateurs de musique
ancienne connaissent bien aujourd’hui l’esthétique et le déroulement. Le texte
des Lamentations de Jérémie, qui forme la substance des fameuses Leçons qui
étaient chantées durant cette période, constitue, par les images de déploration,
de contrition mais aussi de violence qu’il convoque, une véritable mine
d’inspiration pour les compositeurs qui peuvent y déployer à l’envi l’arsenal
rhétorique propre à évoquer les mouvements de l’âme et démontrer l’étendue de
leur savoir-faire expressif. Celui du Palermitain Alessandro Scarlatti, dont
l’essentiel de la carrière se déroula entre Rome et Naples, était immense, et
l’on déplore que sa production ne fasse pas l’objet d’une exploration et d’une
documentation au disque plus systématique. Son cycle de Lamentations, au sujet
duquel planent nombre de questions de chronologie et de destinataire (le nom le
plus fréquemment cité est celui du grand-duc de Toscane Ferdinand III de
Médicis, grand patron des arts), a néanmoins eu la chance d’être intégralement
gravé par les soins d’Enrico Gatti et de son ensemble Aurora (Symphonia, 1992,
réédité par Glossa et parfaitement recommandable) ; il apporte une parfaite
illustration de la capacité du compositeur à faire cohabiter la sévérité d’un
rigoureux contrepoint à l’ancienne et les trouvailles les plus modernes, comme
les chromatismes, syncopes et autres changements abrupts de rythme, pour
illustrer avec une inventivité toujours renouvelée les affects du texte.
On pense que Cristofaro Caresana
étudia auprès de Pietro Andrea Ziani dans sa ville natale de Venise avant
d’aller s’installer à Naples vers l’âge de 18 ans. Il y servit, entre autres,
comme ténor et organiste à la Chapelle royale et occupa le poste prestigieux de
maître de chapelle au Conservatoire de Sant’Onofrio. La Première Leçon du
Vendredi saint qui nous est proposée se distingue par une facture d’une grande
sobriété qui permet à l’attention d’être essentiellement focalisée sur le texte
dont tout est fait pour préserver la lisibilité ; si l’expressivité est toujours
recherchée, elle l’est avec une mesure que l’on pourrait presque qualifier de
classique tant elle préfère une certaine forme de décantation – on est ici
parfois proche de la monodie accompagnée – et de rigueur à des débordements
émotionnels plus extérieurs. Avec Gaetano Veneziano, on entre résolument dans un
autre univers. Élève de celui que les musicologues ont reconnu comme une, sinon
la figure musicale napolitaine majeure de la seconde moitié du XVIIe siècle,
Francesco Provenzale, il en retient, dans ses Lamentations datables de la
décennie 1690, la sensualité et un sens aigu de la théâtralisation qui s’exprime
au travers du déploiement d’un vaste éventail de dynamiques et d’ornementations
et ne répugne pas à regarder du côté d’une virtuosité toute profane et même de
la danse, en parvenant à créer avec des moyens somme toute relativement modestes
une véritable sensation d’opulence sonore et de diversité par une découpe en
sections souvent nettement contrastantes. Ces qualités font de l’œuvre de
Veneziano un maillon essentiel pour saisir l’évolution de la musique sacrée
napolitaine vers l’esthétique du XVIIIe siècle telle qu’elle prendra forme,
entre autres, chez Pergolèse, Durante ou Leo. Les concepteurs de cette
anthologie ont eu la riche idée de ponctuer les trois Leçons retenues par des
pièces instrumentales d’Alessandro Scarlatti que l’on entend également trop peu,
alors qu’elles offrent une synthèse tout à fait convaincante entre style savant
et fluidité mélodique, ainsi qu’une dramaturgie soigneusement élaborée sans le
secours de la voix dont son fils Domenico saura se souvenir.