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Analyste:Isabelle Ragnard
Notre Champenois national est à la mode de
l'autre côté du Channel: choyé par Hyperion, The
Orlando Consort se donne pour objectif d'enregistrer l'intégralité de son
oeuvre en suivant la nouvelle édition préparée par une équipe
d'universitaires largement anglophones. Après « Le Voir dit » (Hyperion,
2013), le quatuor vocal masculin a groupé dix chansons et trois motets, dont
deux sur chanson profane, dans un programme qui manque un peu de charpente
et d'originalité. Deux ballades inédites s'y distinguent pourtant :
Hélas, tant ay doleur et peinne et Pour ce que tous mes chans fais,
dont le refrain final « Se je chant mains que ne sueil » cite le
premier vers d'un canon à trois voix composé par l'évêque Denis Le Grant
(mort en 1352) pour peindre une chasse au faucon. Les onomatopées réalistes
des chasseurs sont lancées avec une belle fantaisie.
Première dans l'ordre des ballades, S’Amours ne fait est encore
rarement chantée; le a cappella rend saillante l'opposition répétée entre la
ligne tendue de la voix supérieure et les rythmes hoquetant du ténor, une
figure de ressassement qui fait émerger à la conscience la structure
isorythmique unique de cette ballade. L'interprétation réserve peu de
surprises. Le style entièrement vocal, revendiqué par les Gothic Voices dans
les années 1980, reste ici un principe absolu. Rien n'est tenté pour
soulager les voix d'accompagnement en leur confiant un peu de texte (option,
entre autres, de Musica Nova): elles étirent leurs vocalises au risque
d'entrer en concurrence avec les mélismes du chanteur qui garde
l'exclusivité du poème lyrique. Poème mal servi lorsqu'il est confié au
jeune contre‑ténor qui escamote trop souvent les consonnes (Matthew Vennera pris il y
a quelques années la relève de Robert Harre‑Jones). La diction est bien plus
satisfaisante chez les voix graves, qui ont aussi gagné en souplesse.
L’intelligence des textes entremêlés représentant un défi pour tous les
interprètes, le quatuor excelle dans les pièces polytextuelles élevées au
rang de « musique pure ». Ainsi, on ne se lasse pas de la fascinante ballade
en canon perpétuel Sans cuer / Amis dolens / Dame par vous, où
chacune des voixporte les paroles distinctes d'un
dialogue entre deux amants. Le dessin contrapuntique prévaut sur la
perception des textes lyriques, qu'on ne savoure qu'à la lecture, mais la
séduction so british des Orlando aura ses partisans.