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Diapason # 656 (04/2017)
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Analyste: Gaëtan Naulleau

Dix ans déjà que Masaaki Suzuki sculptait une Messe en si pro­digieuse de dé­tail et de tension analytique (Bis, Diapason d'or de l'année 2007). Vingt ans depuis la fresque de Jacobs (Ber­lin Classics), presque trente depuis la première version d'Herreweghe (Virgin) et le chef‑d’oeuvre de Brüg­gen (Philips 1989). Ajoutez encore cinq ans pour la révolution Rifkin (Nonesuch). Et bientôt vous fêterez le demi‑siècle du premier essai d'Har­noncourt, dont l'exaltation égalait (et dévorait) les risques insensés pris à une époque où il fallait bien essuyer les plâtres (Warner, 1968).

Le rythme des réussites devrait aujourd’hui s’accélérer comme se sont multipliés les chœurs tissant l’impossible Confiteor avec la sûreté d'une dentellière, et les cornistes sortant là tête haute du Quoniam. Mais l'effort stimule l'esprit, et impose d'avoir une idée claire du but expressif, tandis que l'aisance l'endort. Hormis le re­make inégal de Gardiner (SDG, cf. no 646) et le choeur de solistes athlé­tique fédéré par Minkowski (Naïve, cf. no 565), aucune vision majeure n'a pris le relais de Suzuki. La version de concert n'a pas le privilège de la ba­nalité (Cohen, Pichon, Van Veldhoven, Rademann), mais elle décroche le pompon.

D'un numéro à l'autre, on guette le moment où le flou de la texture, des caractères, de phrasés placides au choeur (sans point culminant, sans ac­cent ferme) se dissipera au profit d'un geste articulé ou d'un appui profond. Est‑ce vraiment le Concerto Köln que nous entendons ici ? Est‑ce une pro­fession de foi sans rire, ce début du Credo dans Ia barbe ? Le néant me­nace l'Et in spiritum, trou noir avalant la moindre aspérité. Herreweghe, dont la manière harmonieuse est sans doute le modèle de Djisktra, gagne en comparaison le charisme de Mi­tropoulos,. Il a les idées claires, et son Christ à lui ne sort pas du tombeau en charentaises (Et resurrexit).

Mais on hésite. Faut‑il se réjouir mal­gré tout qu'avec Djisktra, un choeur symphonique aussi imposant que celui de la Radio bavaroise trouve (à effec­tif réduit) une pâte, malléable com­patible avec les exigences de Bach. Ou regretter que l'adaptation s'exerce au détriment du mot et des contours ? Le début du second Kyrie, qui laisse le temps de goûter presque à décou­vert la splendeur de chaque pupitre (ces ténors, ces basses!), flatte l'oreille par l'onctuosité du legato, mais la mayonnaise ne prend pas, l'intensi­fication du contrepoint et de l'har­monie tourne à vide. Et ce Crucifixus au pays des Bisounours...

La présence de Kenneth Tarver, ténor classieux s'il en est, laissait quelques espoirs, déçus par un Domine Deus sans esprit (et pas bien juste côté dame) puis un Benedictus tendu. Les autres solistes sont gagnés par la pa­resse générale, jusqu'à I’Agnus Dei suspendu, piano et pianissimo, tel un rideau fraîchement blanchi offert à la brise d'été sur le fil à linge. C'est très joli, en effet.


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