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WUNDERKAMMERN (02/2016) 
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)


Ricercar 
RIC364




Code-barres / Barcode : 5400439003644(ID581)

 

Analyste: Jean-Christophe Pucek
 

Il ne fait guère de doute que le rêve de réaliser l’enregistrement de la totalité des cinq livres des pièces de viole de Marin Marais hante depuis longtemps Jérôme Lejeune, le directeur de Ricercar. Ceux d’entre vous qui suivent l’actualité du disque se souviennent peut-être d’avoir vu apparaître, en 1997, un coffret documentant le Premier Livre ; le violiste « maison » était alors Philippe Pierlot et le projet s’arrêta après cette réalisation inaugurale. Vingt ans après, c’est au tour de François Joubert-Caillet et de son ensemble L’Achéron, dont les deux premiers disques ont reçu des éloges fournis et mérités, de s’engager sur ce chemin de longue étude dont la première étape est annoncée pour 2017.

 

Les Pièces favorites qui nous sont aujourd’hui proposées sont une sorte de tiré à part du monumental ouvrage à venir, une généreuse mise en bouche qui, grâce à un choix éclairé, donne à entendre aussi bien des pièces connues (La Rêveuse, Tombeau de Sainte Colombe, Les Voix humaines, entre autres) que d’autres plus confidentielles mais qui ne le cèdent en rien en termes de charme et d’intérêt. Fort pertinemment, la note d’intention signée par le soliste vient nous rappeler un fait passablement occulté par le succès du film Tous les matins du monde : bien que le rôle central qu’il y tenait ait contribué à attirer la lumière sur son personnage, nombre d’aspects de la personne que fut réellement Marais et de son legs musical nous échappent encore. Les changements sociétaux radicaux intervenus depuis le XVIIIe siècle font que nous mesurons probablement mal à quel point ce fils d’un cordonnier parisien connut une trajectoire hors norme, s’élevant de sa modeste extraction jusques à côtoyer Louis XIV et à en être apprécié ; sans doute l’homme était-il suffisamment humble pour savoir se mettre à bonne école et assez passionné pour toujours désirer en apprendre plus — l’anecdote rapportée par Titon du Tillet le représentant caché sous la cabane de son maître Sainte Colombe, qui l’avait congédié, afin de s’imprégner de ses secrets est célèbre. Son ambition ne fait non plus guère de doute ; elle le poussa à cultiver des relations propres à favoriser son ascension, au premier rang desquelles il faut citer celle qui l’attacha au tout-puissant Lully, sous la férule duquel il travailla au sein de l’orchestre de l’Académie royale de musique à compter de 1676 et à qui il dédia son Premier Livre de pièces de viole, publié en 1686 alors qu’il occupait depuis déjà sept ans le poste de joueur de viole de la musique de la chambre du roi. André Bouys Marin MaraisPensé et organisé de façon très classique, cet opus primum, dont on retient surtout aujourd’hui les suites pour deux violes qui ne cessent de connaître les honneurs de l’enregistrement, peut être regardé comme la carte de visite officielle d’un compositeur qui y démontre l’étendue de son savoir-faire mais aussi la conscience de s’inscrire dans une tradition, dont il se démarque cependant par l’innovation que constitue l’adjonction de la basse continue. Quinze années s’écoulèrent avant que paraisse le Deuxième Livre (1701) qui marqua une indiscutable avancée dans l’introduction de ces pièces de caractère dont la France du XVIIIe siècle fut si friande (songez à François Couperin et à ses titres tellement évocateurs) que le Troisième Livre (1711), plus inégal dans sa composition, ne confirma pas. Cette reculade ne fut qu’apparente ; elle permit à Marais de prendre son élan pour dépasser allègrement une concurrence qui se faisait alors plus âpre et le Quatrième Livre (1717) constitua ainsi une évolution décisive en bousculant les codes qui avaient prévalu dans les recueils précédents. Adoptant une organisation tripartite, son cœur est, après les coutumières suites pour une viole, l’exigeante Suite d’un goût étranger où l’on voit le musicien explorer de nouveaux territoires de la sensibilité (La Rêveuse, Le Badinage) mais aussi de l’écriture pour son instrument (Le Labyrinthe), une tendance à l’expérimentation que confirment les deux suites à trois violes proposées pour finir. Le Cinquième Livre, enfin, publié en 1725, trois ans avant la mort du compositeur, confirma la victoire définitive des pièces de caractère, omniprésentes, et du pittoresque, tout en rappelant l’attachement de l’auteur à la manière française. L’évolution du goût que l’on perçoit au travers de la succession des cinq livres me semble tout à fait pouvoir être rapprochée de celle qui se fit jour parallèlement dans le domaine de la peinture, de la solennité de Le Brun à la sensualité de Raoux en passant par la poésie de Watteau, quarante années qui virent la grandeur céder graduellement la place à l’intime ; ce jeu de correspondances sera un de mes guides pour rendre compte des différents volumes à paraître.

 

Même sans le connaître, il est difficile de ne pas trouver François Joubert-Caillet attachant ; là où certains de ses confrères de la « jeune génération » ont décidé de saturer l’espace médiatique tout en ne proposant en parallèle aucun projet ambitieux, lui a choisi, au contraire, la discrétion et la concentration sur l’essentiel, la musique. Sans doute est-ce en partie pour cette raison que son récital Marais, qui aurait pu n’être qu’une carte de visite comme une autre, happe immédiatement et retient durablement l’attention. Outre une indiscutable solidité de ses moyens techniques, ce jeune musicien possède une large palette expressive dont il use avec une finesse et une maturité assez impressionnantes, avec un penchant affirmé pour les pièces méditatives, toutes très réussies dans cette anthologie. Le caractère parfois presque murmuré de La Rêveuse et des Voix humaines se révèle ainsi une fort belle intuition, le Tombeau de Mr de Sainte Colombe est à la fois digne jusqu’à une certaine hauteur que l’on imagine conforme au caractère du personnage et poignant, Le Badinage trouve ici une profondeur inédite.

L’énergie n’est, pour autant, pas absente, comme le démontrent des Couplets de folies brillamment enlevés, un Tourbillon impétueux ou la ferme pulsation qui parcourt la Chaconne en sol majeur, mais il me semble qu’un des plus indéniables atouts de la lecture de François Joubert-Caillet est la constante beauté de son chant qui nous rappelle opportunément pourquoi la viole de gambe était considérée comme l’instrument le plus proche de la voix humaine. L’Achéron, ici en formation réduite, est un parfait compagnon, qu’il s’agisse des parties supplémentaires de viole quand elles sont requises ou de la basse continue, réalisée avec un goût très sûr, toujours inventive, jamais intrusive, et dont les nuances parfaitement installées et explorées répondent à celles dispensées par le soliste. Si la nature même du projet mettra nécessairement ce dernier en vedette, cette première étape prouve indiscutablement que nous sommes face à l’aventure d’une équipe qui avance soudée, sans se préoccuper de questions d’ego, avec pour seul souci de servir un compositeur sur lequel, malgré l’autorité que peuvent posséder certains enregistrements du passé, et en premier lieu ceux de Jordi Savall, tout est loin d’avoir été dit.

 

Désirez-vous faire découvrir et aimer Marin Marais à qui vous est cher ? Offrez-lui ce disque. Souhaitez-vous avoir auprès de vous un épitomé de son art dont vous pourrez à loisir feuilleter les pages chères ? Offrez-vous le et placez-le à côté du magnifique récital enregistré par Sophie Watillon pour Alpha en 2002, qu’il faut absolument connaître et chérir. Et attendons maintenant ensemble la suite des aventures de François Joubert-Caillet et de ses amis, en pariant qu’elle sera aussi instructive que belle.

 

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