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Diapason # 654 (02/2017)
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PHI4043



Code-barres / Barcode : 0881488140439

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Analyste: Gaëtan NauIIeau

Des trois recueils de Suites pour clavier laissés par Bach, les Partitas (le dernier, le plus ambitieux, le plus exigeant) ont depuis toujours la préférence des pianistes. Des deux autres, ils visitent plus volontiers les amples Suites anglaises que leurs petites soeurs « françaises », dont l'apparente modestie ne paie pas. C'est qu'elle leur impose de scruter, sous la surface d'une écriture limpide et concise, une richesse de caractères et une variété de texture que leurs collègues clavecinistes décryptent bien plus facilement. Perahia en faisant pourtant son miel il y a quelques mois, et nuançait dans chaque suite une palette choisie (DG, cf no 651). Koroliov, bachien passionnant dans les Inventions, le Clavier bien tempéré ou les Goldberg, y traversait un interminable paysage lunaire aux reliefs indifférenciés (Tacet).

D'une Russie à l'autre, les partis pris tranchés qu'il s'interdisait foisonnent sous les mains d'Ekaterina Derzhavina. Un mélange singulier de formalisme, d’imagination et d'exaltation analytique fait écho aux extraordinaires Variations Goldberg parues en 1994, dans la foulée du prix qui' révé­lait la jeune pianiste au Concours Bach de Leipzig (Arte Nova).

Des micros proches laissent mesurer, sur un instrument aussi mat qu'en 1994, l'intensité du toucher. Aucun détail n'échappe à son contrôle, Le crépitement d'ornements décochés forte dans les reprises de la Gigue en do mineur fait son effet ‑ comme dans celle en mi ! Parler ici d'un art de la danse (donc de respiration et de suspensions infimes) serait exagéré, mais l’appétit rythmique de ce piano fait l'affaire (Gigue en si mineur).

Les nombreux jeux de timbres ne visent jamais la séduction, mais participent d'un discours puissamment renouvelé au fil de chaque mouvement, aux antipodes du geste synthétique de Perahia, magicien des équilibres instables. L’Allemande en mi bémol, fleuve homogène, dont les pianistes travaillent d'habitude les reflets, rencontre ici des rives sinueuses ‑ creusées par les variantes adoptées et  l'ornemen-tation des reprises. Les courantes pressent le pas, choix discutable mais fertile en caractères : ouragan staccato en mi majeur, dialogue noble et nerveux en ré mineur, tarentelle trompettante en do mineur, martèlement têtu (et pénible) en si mineur.

Le texte suggère un contretemps ? Derzhavina s'en empare et l'accentue, dans une lecture parfois naïve de l'écriture de Bach. Elle coupe plus d'un cheveu en quatre ‑ pauvre Ailemande en sol. Les ficelles qui nourrissent la variété du jeu paraissent çà et là un peu grosses mais se révèlent toujours cohérentes. Et les idées abondent tant que la plus arbitraire ne tarde pas à être éclipsée par une trouvaille splendide. Qui sait si nous n’en revendrons pas plus souvent sur ces montagnes russes, en levant les yeux au ciel, que dans l'oasis de Perahia.


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