WUNDERKAMMERN
(10/2016)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Paraty
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Analyste: Jean-Christophe Pucek
Audaces fortuna juvat. Pour peu qu’il
soit curieux, et il l’est généralement bien plus que l’imaginent ceux qui
s’acharnent à lui vendre sempiternellement les mêmes compositeurs et les mêmes
œuvres, le mélomane apprécie que les musiciens aient l’audace de lui proposer de
sortir des sentiers battus. Pour son premier disque, il ne fait guère de doute
que des choix plus évidents que celui de Nicolas Clérambault s’offraient à
l’Ensemble Sébastien de Brossard ; fidèle au goût pour l’exploration qui
caractérisait l’encyclopédiste musicien qu’il s’est choisi pour patron,
l’ensemble dirigé par le claviériste Fabien Armengaud nous invite à retrouver
l’univers d’un musicien relativement méconnu du XVIIIe siècle français.
La nuance introduite par cet adverbe
est importante, car s’il n’est pas aussi régulièrement mis à l’honneur que son
contemporain François Couperin, Clérambault n’est pour autant nullement relégué
dans l’obscur nadir de l’oubli ; certaines de ses cantates françaises, au
premier rang desquelles Orphée et Médée, toutes deux publiées dans le Premier
livre de 1710, et parfois La Muse de l’opéra (1716), assurent aujourd’hui encore
sa renommée, tout comme son Livre d’orgue (c.1710, qu’il faut écouter sous les
doigts de Jean Boyer à la tribune de Saint-Michel en Thiérache dans le disque
repris par Virgin en 2000 dans le cadre de la collection « Musique à Versailles
»), et il a même eu droit, en septembre 1998, à ses Grandes journées à la
bienheureuse époque où le Centre de musique baroque de Versailles en organisait,
avec quelques enregistrements à la clé, dont un Triomphe d’Iris par Le Concert
Spirituel (Naxos, 1999) et une anthologie confiée à Il Seminario Musicale et
intitulée Motets pour Saint-Sulpice (Virgin, 2000), dont une partie du programme
est d’ailleurs commune avec celle proposée par l’Ensemble Sébastien de Brossard.
Fils d’un violoniste appartenant aux
Vingt-quatre Violons du roi, Clérambault montra tôt des dispositions pour la
musique que sa famille ne pouvait naturellement qu’encourager, et on peut gager
que son premier apprentissage auprès de son père le mit d’emblée au contact des
deux manières que son art ne devait ensuite cesser d’illustrer, la française et
l’italienne. Formé par d’excellents maîtres aujourd’hui hélas quelque peu
oubliés, André Raison pour l’orgue et Jean-Baptiste Moreau pour la composition,
c’est probablement en partie grâce à ce dernier, qui y était attaché, qu’il noua
des liens privilégiés avec la Maison royale de Saint-Cyr ; en 1715, année
charnière s’il en est, il prit la succession de Guillaume-Gabriel Nivers au
poste d’organiste de cette institution et de l’église Saint-Sulpice, dont on
trouve dans certains de ses motets l’écho des phases de l’agrandissement qui s’y
déroulèrent durant sa période d’activité. Clérambault était alors un compositeur
célébré ayant à son actif, outre un Livre pour orgue, un pour clavecin (1702) et
deux de cantates françaises (1710 et 1713) qui seront suivis de trois autres
(1716, 1720 et 1726), tous rencontrant un succès qui l’installera comme un des
maîtres incontestés du genre, reconnu comme tel par ses contemporains, ainsi
qu’en atteste Evrard Titon du Tillet qui rappelle à quel point il y excellait.
Il n’est donc pas surprenant qu’il ait cherché à faire souffler sur sa
production sacrée le vent d’une théâtralité toute entière mise au service de
l’illustration des images et des affects véhiculés par les textes. Ainsi, pour
ne citer que deux exemples particulièrement frappants, le verset « Impia
turcarum gens » du motet Exurge atque iterum (C. 150, 1713 ?) pour la
canonisation du pape Pie V se déploie-t-il comme une vaste fresque sonore qui
anticipe d’une vingtaine d’années les trouvailles d’un Mondonville (comment ne
pas songer au très imagé « Elevaverunt flumina » du grand motet Dominus regnavit
?), tandis que l’« Ad te clamamus » du Salve Regina (C. 114) s’élève comme une
supplique à la Vierge particulièrement fervente, aux accents parfois poignants.
Les œuvres de dévotion mariale sont certes moins immédiatement spectaculaires,
mais pas moins raffinées dans la rhétorique de la douceur, de la joie, de la
confiance ou de l’espérance qu’elles mettent en œuvre, parfois en recourant à
des rythmes de danse. Toutes ces pages témoignent à la fois de la parfaite
connaissance qu’avait Clérambault de la religiosité du Grand Siècle, marquée par
un goût tout français pour la noblesse et la retenue dans l’expression, dont il
demeure un représentant tardif assez typique, et sa volonté d’y intégrer des
éléments italianisants plus « modernes », comme la virtuosité vocale et une plus
grande attention à la clarté et à la fluidité mélodiques.
Pour servir cet
ambitieux programme, Fabien Armengaud a réuni une équipe de musiciens très au
fait des exigences du répertoire baroque français ; il ne fait ainsi guère de
doute que les noms de Cyril Auvity, Jean-François Novelli et Alain Buet
sonneront de façon familière aux oreilles des amateurs. Comme on pouvait s’y
attendre, ce trio fait ici montre d’une science et d’une autorité indiscutables,
offrant toutes les qualités de netteté dans l’articulation, de tenue dans la
ligne vocale et de clarté dans la prononciation gallicane du latin que l’on
pouvait espérer. Mais il fait naturellement mieux qu’exposer une technique
rarement prise en défaut – à peine notera-t-on quelques menus décalages ou
certains aigus passagèrement « tirés » que l’acoustique peu réverbérée souligne
–, il s’investit dans cette interprétation avec une énergie, un soin et un cœur
formidables qui mettent en lumière aussi bien la dimension indiscutablement
théâtrale des œuvres que le raffinement de leur facture ; la comparaison avec
l’enregistrement d’Il Seminario Musicale qui faisait, lui, le choix d’une plus
grande onctuosité au détriment du dramatisme, est éloquente sur ce point. Les
instrumentistes sont également excellents et si l’on pourrait ponctuellement
souhaiter un rien d’abandon supplémentaire, leur style est tout à fait
idiomatique, leur discipline et leur réactivité irréprochables et leur palette
de couleurs séduisante. De l’orgue ou du clavecin, Fabien Armengaud dirige ses
troupes avec expertise et précision, mais également une audible bienveillance
qui lui permet d’obtenir le meilleur de ce qu’elles ont à offrir. L’Ensemble
Sébastien de Brossard signe ici un premier disque on ne peut plus prometteur
qui, outre le bonheur d’écoute immédiat qu’il procure, constitue un apport
significatif à la discographie de Nicolas Clérambault. On suivra avec beaucoup
d’attention les propositions à venir de ces musiciens qui ont visiblement nombre
de choses passionnantes à nous dire dans le domaine de la musique baroque
française.
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