WUNDERKAMMERN
(01/2017)
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
Passacaille
PAS1023
Code-barres / Barcode : 5425004160232
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Malgré un programme alléchant faisant
la part belle au trop négligé Johann Hermann Schein et une distribution
prometteuse, le premier disque d’InAlto, publié il y a deux ans par le label
Ramée, avait laissé quelque peu perplexe. Si la réalisation instrumentale était
brillante, l’équipe vocale se montrait, en effet, trop souvent dépassée par les
exigences des partitions pour convaincre. On attendait donc avec curiosité de
voir comment l’ensemble fondé et dirigé par le cornettiste Lambert Colson allait
évoluer ; il nous revient aujourd’hui dans un programme où il a heureusement
décidé de poursuivre son exploration du répertoire baroque germanique du XVIIe
siècle.
La figure de Heinrich Schütz domine
de sa d’autant plus impressionnante stature que l’homme lui-même semble avoir
été pétri d’humilité toute la musique allemande d’un XVIIe siècle que sa
remarquable longévité – il est mort en 1672 à l’âge respectable de 87 ans – lui
a permis de traverser aux trois quarts, en côtoyant aussi bien le luxe des cours
que l’épouvante et la géhenne durant la guerre de Trente Ans. À son poste de
Kapellmeister de Dresde, qu’il occupa dès 1621 sans plus guère s’en éloigner par
la suite, il produisit un vaste catalogue d’environ cinq cents partitions,
majoritairement sacrées, qui façonnèrent en profondeur la conception de la
musique dans sa patrie en y introduisant des éléments de ce qui était alors
regardé comme la modernité, dont il était allé s’abreuver directement à la
source lors de deux séjours en Italie, le premier de 1609 à 1612-13 auprès de
Giovanni Gabrieli, le second en 1628-1629 auprès de Claudio Monteverdi ; il
avait rapporté dans ses bagages la polychoralité, qui était néanmoins déjà
parvenue, grâce aux échanges commerciaux des cités hanséatiques, à Hambourg où
elle était pratiquée autour de 1600 comme le démontrent, par exemple, les œuvres
de Hieronymus Praetorius, et surtout une connaissance approfondie de l’art du
madrigal qui lui permit de faire souffler sur ses compositions le vent d’une
expressivité nouvelle qu’il s’employa à canaliser pour la mettre entièrement au
service de la Parole — rappelons que nous sommes ici en présence d’un
compositeur protestant dont la foi ne fut apparemment jamais ébranlée par les
vicissitudes qu’il traversa.
De par ses fonctions, Schütz forma un
nombre important d’élèves, avec certains desquels se nouèrent des liens d’amitié
– il nomme ainsi Christoph Bernhard « mon fils » –, qui essaimèrent dans tout le
pays en y propageant son enseignement. Si on peut reprocher quelque chose au
Sagittarius, bien qu’il n’en soit pas responsable, c’est d’avoir eu un talent
tel qu’il a fatalement obombré celui de ses disciples. Hormis aux férus de ce
répertoire, les noms de David Pohle, Kapellmeister entre autres à Weissenfels,
Zeitz et Merseburg, Johann Theile, qui occupa les mêmes fonctions à Gottorf et
Wolfenbüttel, Johann Vierdanck, instrumentiste à Güstrow puis Stralsund, Johann
Schop, dont la plus grande partie de la carrière se déroula à Hambourg et qui,
s’il ne fut pas élève de Schütz, fut influencé par lui dans ses œuvres sacrées
(encore inédites au disque, avis aux amateurs), n’évoqueront probablement pas
grand chose, ce que l’on ne peut que déplorer compte tenu de leur qualité.
Christoph Bernhard et surtout Matthias Weckmann ont eu une postérité un peu plus
heureuse ; la destinée de ces deux musiciens est liée, puisque le premier
rejoignit le second à Hambourg, où il occupait la tribune de la Jacobikirche
depuis 1655, en 1663, les deux amis travaillant de concert à rendre florissante
la renommée artistique de la ville, notamment au sein d’un collegium musicum qui
accueillit entre autres Reincken et Buxtehude, contribuant sans le savoir à
forger l’avenir de la musique allemande. C’est à Bernhard que Schütz commanda,
en 1670, le motet qui fut joué lors de ses funérailles et, par une étonnante
coïncidence, ce brillant élève devenu un maître renommé fut rappelé à Dresde en
1674 deux ans après la mort du grand Heinrich et dans les jours même où mourut
Weckmann, refermant en quelque sorte la boucle de l’héritage schutzéen direct.
Le programme proposé par InAlto se
propose, au travers de pièces vocales tour à tour dramatiques (Eyle mich Gott de
Schütz), virtuoses (Omnia quæ fecit Deus de Vincenzo Albrici, seule partition
sans véritable lien avec la thématique), traversées par la lumière de
l’espérance (Ach, daß ich hören sollte de Theile), l’imploration fervente (Aus
der Tieffen de Bernhard) ou la tendre louange (O süßer Jesu de Schütz dans un
arrangement de Christoph Kittel), et de pièces instrumentales originales ou
transcrites de pages sacrées, d’offrir un aperçu de la constellation de
compositeurs formée dans l’orbe du Sagittarius et, au-delà, un survol assez
représentatif de cette Allemagne musicale du XVIIe siècle attentive à la leçon
de l’Italie et en ayant adopté et digéré nombre de trouvailles. Le résultat est
extrêmement séduisant et démontre de façon éclatante les progrès accomplis en
l’espace de deux années par un ensemble dont on a véritablement le sentiment
d’assister ici à l’éclosion. Cette réalisation s’impose par la justesse de ses
choix, celui, très judicieux, des pièces vocales qui permettent à la soprano
Alice Foccroulle, à la voix claire et non vibrée à laquelle ne manque qu’un
soupçon de sensualité, de faire valoir sa netteté de ligne et d’articulation
mais également une très appréciable agilité, celui d’instrumentistes virtuoses
animés d’un enthousiasme réjouissant mais sachant également déployer des trésors
de nuances et de raffinement – une mention spéciale à la violoniste Marie
Rouquié dont les prestations au sein des différents ensembles dans lesquels elle
travaille sont toujours un enchantement –, celui de la réalisation du continuo
au grand orgue, tenu par un Marc Meisel épatant, qui confère au discours
l’assise solide nécessaire pour que ses volutes s’épanouissent librement. Un
bonheur n’arrivant jamais seul, la prise de son est signée par Aline Blondiau
qui, une nouvelle fois, a su conjuguer présence des timbres et sensation
d’espace. Lambert Colson, dont on goûte sans réserve la maîtrise au cornet et au
cornettino, réussit à conférer à une anthologie par essence disparate une réelle
impression de cohérence et de progression, ce qui plaide en faveur d’un
programme qui n’a pas été assemblé au hasard mais construit et mûri.
S’il peut
apparaître superflu à ceux qui se prévaudraient d’une connaissance quasi
exhaustive de ce répertoire, ce disque sera pour tous les autres, que je devine
nettement plus nombreux, une bonne porte d’entrée vers cet univers ou un
contrepoint original et interprété avec brio à ce qu’ils en ont déjà entendu. On
peut aussi l’écouter pour son simple plaisir ; on ne sera pas déçu, tant il
n’est pas avare de ses beautés.
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