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 Extrait du livret / From the liner notes


Alia Vox
AVSA9895



Code-barres / Barcode : 7619986398952

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C’est surtout grâce aux beaux portraits peints par Holbein, Dürer et Quintin Metsys et à une œuvre de jeunesse, son Éloge de la folie que le souvenir d’Érasme de Rotterdam est resté présent dans la mémoire culturelle. Son œuvre immense et sa vie, connues seulement d’une poignée de spécialistes, commencent à être plus largement étudiées et diffusées à partir des premières années du XXe siècle et c’est grâce à différents essais, et spécialement à celui de Stefan Zweig Érasme. Grandeur et décadence d’une idée (publié en Autriche en 1934, en France en 1935, en Italie en 1935, etc.) que l’on commence alors à mieux connaître la véritable dimension de ce grand voyageur, passionné par la recherche du dialogue et de la paix : il proclame dans sa Querela pacis, « Le monde entier est notre patrie à tous », et ceci justement à une époque où l’Europe est à feu et à sang. Les haines qui opposent Anglais, Allemands, Espagnols, Italiens et Français lui semblent une absurdité.

Érasme est toujours prêt à prendre la plume contre les injustices, les guerres, le fanatisme et même contre la déchéance morale de sa propre église. Le règne d’Érasme, dont l’autorité s’étendait, en ce début de XVIe siècle, sur tous les pays d’Europe, fut un règne qui triompha sans recours à la violence, par la seule puissance de sa force spirituelle. Comme nous dit Stefan Zweig « Durant une heure merveilleuse l’Europe est unie par un rêve de civilisation commune, qui, grâce à une unité de langue [le latin], de religion et de culture, devrait mettre fin à l’antique et funeste discorde. Le souvenir de cette inoubliable tentative restera éternellement lié à la personnalité et au nom d’Érasme. Car ses idées, ses désirs et ses rêves ont dominé l’Europe pendant un moment de l’histoire et c’est bien pour son malheur et le nôtre que cette volonté aux pures intentions n’a été qu’un court entracte dans la tragédie sanglante de l’humanité. »

Selon Érasme la tyrannie d’une idée est une déclaration de guerre à la liberté de l’esprit, ce pourquoi tout au long de sa vie il a refusé de prendre parti pour une idéologie ou une formation, il est convaincu qu’un homme de parti est obligé de croire, de penser et de sentir avec partialité. C’est pourquoi Érasme respecte toutes les idées tout en se refusant à reconnaître l’autorité d’aucune. Il fut le premier penseur à se définir comme européen, il prôna l’accès de tous à la culture et à la connaissance comme base fondamentale à l’éducation de l’humanité, car pour lui il n’y a que l’individu inculte, l’ignorant qui s’abandonne sans réfléchir à ses passions. Malheureusement vers la fin de sa vie il est confronté à la brutale réalité d’un monde violent et incontrôlable : « A Paris on a brûlé à petit feu son traducteur et disciple, Berquin, en Angleterre, son cher John Fisher et son noble ami Thomas More ont péri sous la hache (1535)… » Zwingli, avec lequel il avait tant échangé de lettres a été tué sur le champ de bataille de Kappel…Rome est mise à sac par les soudards de Charles-Quint (1527).

Mais c’est la confrontation avec les théories de Luther qui va le plus le toucher, sachant que son combat pacifique est perdu d’avance à cause de l’obstination et de la rigidité, bientôt il voit venir la catastrophe. « Puisse cette tragédie ne pas se terminer malheureusement » s’exclame-t-il, assailli par les plus sombres pressentiments. C’est dans ces années-là que Luther, voyant la révolte paysanne se retourner contre ses appuis seigneuriaux, condamna les soulèvements de 1525 dans une courte brochure d’une rare violence, véritable appel au massacre, intitulée Contre les bandes pillardes et meurtrières des paysans, dans laquelle il écrit : « (…) tous ceux qui le peuvent doivent assommer, égorger et passer au fil de l’épée, secrètement ou en public, en sachant qu’il n’est rien de plus venimeux, de plus nuisible, de plus diabolique qu’un rebelle (…). Ici, c’est le temps du glaive et de la colère, et non le temps de la clémence. Aussi l’autorité doit-elle foncer hardiment et frapper en toute bonne conscience, frapper aussi longtemps que la révolte aura un souffle de vie. (…) C’est pourquoi, chers seigneurs, (…) poignardez, pourfendez, égorgez à qui mieux mieux » (cité dans J. Lefebvre, Luther et l’autorité temporelle, 1521-1525, Paris, Aubier, 1973, p. 247, 253, 257). Sans ménagement Luther prend à jamais le parti de l’autorité contre celui du peuple. Et à la fin, lorsque les champs du Wurtemberg ont été inondés de sang, il avoue avec un courage extrême : « Moi, Martin Luther, j’ai tué tous les paysans révoltés, car j’ai ordonné de les assommer : j’ai leur mort sur la conscience. »

Érasme est désolé de voir que « l’on se bat avec acharnement entre religions, entre Rome, Zürich et Wittenberg ; pareilles à des orages voyageurs, les guerres s’abattent sur l’Allemagne, la France, l’Italie et l’Espagne ; le nom du Christ est devenu une bannière guerrière. » Finalement c’est l’histoire du XXe siècle qui a montré le plus cruellement cette surestimation du civilisé, Érasme n’avait pas pu imaginer le problème terrible et presque insoluble de la haine des races. Mais comme dit Stefan Zweig : « Le monde a toujours besoin d’hommes qui se refusent à admettre que l’histoire n’est qu’un morne et perpétuel recommencement, la répétition insipide d’une même pièce avec d’autres décors, et qui aient la conviction inébranlable qu’elle indique au contraire un progrès moral, que la race humaine poursuit lentement son ascension de la force brutale à l’esprit d’ordre et de sagesse, de l’animalité à la divinité, et que le plus haut degré de l’échelle est déjà presque atteint… Bientôt, se disaient avec joie Érasme et les siens, l’humanité, largement instruite et consciente de sa propre force, reconnaîtra sa mission morale, et, après s’être dépouillée à tout jamais de ce qu’il y a encore de bestial en elle, vivra dans la paix et la fraternité… Mais ce n’est pas cette sainte aurore qui pointe à travers les ténèbres de la terre : c’est l’incendie qui va détruire le monde idéal de l’humanisme. Semblable aux Germains envahisseurs de la Rome classique, Luther, homme d’action et fanatique, va déchaîner un mouvement populaire national d’une force irrésistible, faire irruption dans le royaume des humanistes et briser leurs rêves internationalistes. Avant que l’humanisme ait véritablement commencé son œuvre de concorde universelle, la Réforme vient briser de son marteau de fer la dernière forme d’unité spirituelle de l’Europe : L’Eclessia universalis. »

Le projet de ce nouveau Livre/CD naît d’abord de l’idée de rendre un grand hommage à cet humaniste exceptionnel, à travers le dialogue vivant des textes et des musiques d’époque, situés pleinement dans leur contexte historique. Pour cela nous lui donnerons la parole à lui-même, avec les textes extraits de sa correspondance et de quelques-uns de ses écrits fondamentaux. A part Érasme lui-même, nous entendrons aussi les voix de la Folie et celles de Thomas More & de Luther. Dans les 3 Cds matériels qui accompagnent ce livre, les textes, en dialogue avec les musiques de l’époque, sont récités en français, par Louise Moaty (la Folie), Marc Mauillon (Érasme et Adages) et René Zosso (Thomas More, Machiavel et Luther). En complément sur Internet, tous les textes avec le même accompagnement musical seront aussi disponibles dans les six autres langues européennes : l’allemand, l’anglais, le castillan, le catalan, le hollandais et l’italien. Et finalement pour ceux qui seront intéressés par la seule écoute des musiques, nous ajoutons 3 autres Cds avec toutes les musiques sans les récits parlés. Les textes de la Folie sont accompagnés par des improvisations, variations ou adaptations vocales ou instrumentales sur le thème musical de la folia, tandis que dans les Cds. 2 et 3, les musiques de Dufay, Josquin, Sermisy, Lloyd, Isaac, Du Caurroy, Moderne, Morales, Trabaci et des pièces anonymes occidentales, sépharades et ottomanes, nous accompagnent tout au long des principaux événements de la vie d’Érasme et de son temps.

Nous sommes convaincus que les idées de ce grand humaniste, ses réflexions critiques et sa pensée philosophique restent une source essentielle de sagesse humanistique et spirituelle, tout en restant, même après 500 ans, d’une actualité surprenante, comme l’était aussi le jugement prémonitoire de Thomas More – son grand ami et remarquable penseur – dans son œuvre Utopie : « Partout où la propriété est un droit individuel, où toutes choses se mesurent par l’argent, là on ne pourra jamais organiser la justice et la prospérité sociale, à moins que vous n’appeliez juste la société où ce qu’il y a de meilleur est le partage des plus méchants, et que vous n’estimiez parfaitement heureux l’État où la fortune publique se trouve la proie d’une poignée d’individus insatiables de jouissances, tandis que la masse est dévorée par la misère ». Cette description précise de la crise actuelle de l’Europe et du Monde, écrite il y a cinq siècles, montre jusqu’à quel point l’étude et la connaissance de ces grands penseurs humanistes peut nous servir pour réfléchir sur notre destinée humaine et pour pouvoir trouver des nouveaux chemins de dialogue, de justice et de paix. Avec les idées de ces humanistes s’ébauche déjà le postulat, non encore totalement réalisé aujourd’hui, d’une Union Européenne groupée sous le signe d’une culture et d’une civilisation communes ; une Europe unie qui sache se développer sur une idée morale, qui soit pleinement au dessus des intérêts économiques ou territoriaux.

JORDI SAVALL


Bellaterra, Automne 2012

 

 

ENGLISH VERSION


It is above all thanks to the beautiful portraits painted by Holbein, Dürer and Quintin Metsys, as well as the author’s youthful work, In Praise of Folly, that Erasmus of Rotterdam remains imprinted on our cultural memory. His immense output and his life, previously known only to a handful of specialists, began to be more widely studied and disseminated in the early years of the 20th century, and it was thanks to various essays, in particular that of Stefan Zweig, Triumph und Tragik des Erasmus von Rotterdam (published in Germany in 1934, in the United States in 1934 (under the title Erasmus of Rotterdam), in France in 1935, in Italy in 1935, etc.), that the wider public began to be aware of the true dimension of this great traveller and impassioned seeker after dialogue and peace: in his Querela pacis he proclaimed: “The whole world is the common fatherland of all” at a time when Europe was torn by bloody conflicts. He saw only absurdity in the hatred that pitted English, German, Spanish, Italian and French against one other.

Erasmus was always ready to take up his pen against injustice, wars, fanaticism and even the moral decline of his own Church. The “reign” of Erasmus, whose authority at the beginning of the 16th century extended throughout Europe, triumphed without the need for violence by virtue of spiritual force alone. As Stefan Zweig writes “For one wonderful moment, Europe was united by the dream of a shared civilization, which, thanks to its unity of language [Latin], religion and culture, would put an end to its dreadful, age-old discord. The memory of that unforgettable bid for unity will forever be linked to the personality and name of Erasmus. His ideas, his hopes and his dreams captured and held the imagination of Europe for a brief span in its history, and it is to his great chagrin, as well as ours, that such pure intentions turned out to be only a short interlude in the cruel tragedy of humankind.”

In Erasmus’s view, the tyranny of an idea amounted to a declaration of war against freedom of thought, which explains why throughout his life he refused to align himself with any ideology or group, because he firmly believed that political allegiance of any kind took away the individual’s freedom to believe, think and feel impartially. That is why Erasmus respected all ideas while refusing to recognize the authority of any. He was the first thinker to define himself as European; he advocated universal access to culture and knowledge as the indispensible basis for the education of mankind, arguing that only an uneducated, ignorant man will be an unthinking slave to his own passions. Unfortunately, towards the end of his life he was forced to confront the brutal reality of a violent, uncontrollable world: “At Paris his translator and disciple Louis Berquin was burned at the stake; in England his mutual friends John Fisher and Thomas More were beheaded (1535)…” Zwingli, with whom he had exchanged so many letters, was killed at the battle of Kappel…Rome was sacked by the mercenaries of Charles V (1527).

It was above all his clash with the theories of Martin Luther that was to cause him the greatest sorrow: knowing that his peaceful struggle was doomed to failure in the face of obstinacy and intransigence, he could see that disaster was inevitable. Overcome with foreboding, he exclaimed, “I pray that this tragedy will not end badly. It was at that time that Luther, seeing the peasant revolt turn against his powerful protectors, condemned the uprisings of 1525 in an unusually violent pamphlet, issuing nothing short of a call to massacre, entitled “Against the thieving and murdering hordes of peasants”. In it he writes:

“Whoever is able, let him stab, smite, slay (…), secretly or in public, remembering that nothing can be more poisonous, harmful or diabolical than a rebel (…). Now is the time of anger and the sword, it is not the day of grace. Rulers should be undaunted and strike with a clear conscience, and go on striking, as long as there is breath in the rebels’ bodies. (…) Therefore, dear lords, (…) stab, strike, slay whoever can” (quoted in J. Lefebvre, Luther et l’autorité temporelle, 1521-1525, Paris, Aubier, 1973, pp. 247, 253, 257). Luther promptly sided with the authority of the princes against that of the people. Finally, when the fields of Wurtemberg were soaked with blood, he boldly stated: “I, Martin Luther, slew all the peasants during the uprising, for it was I who ordered them to be put to death. I have their blood on my conscience.”

Erasmus was devastated to see “Rome, Zurich and Wittenberg a prey to bitter wars of religion; sweeping wars beat down like storms on Germany, France, Italy and Spain; the name of Christ has become a battle standard.” The cruellest illustration of the overestimation of man’s civilized state was finally to come in the history of the 20th century: Erasmus could not have imagined the terrible and almost insoluble problem of racial hatred. But, as Stefan Zweig writes, “The world always needs men who refuse to admit that history is anything more than a perpetual, drab beginning over and over again, the same play insipidly re-enacted against different backdrops; men who have the unshakeable conviction that history has a moral purpose; that it embodies a progress steadily pursued by the human race in its ascent from brute force to a spirit governed by order and wisdom, from bestiality to divinity, and that humanity is already within reach of the highest rung on the ladder… Soon, Erasmus and fellow-travellers joyfully told themselves, humanity, well educated and conscious of its own strength, would recognize its moral mission, and, after finally shedding the last traces of bestiality in its nature, would live in peace and brotherhood… But it was not the glow of a holy new dawn that they glimpsed through the darkness of this world: it was the conflagration that was about to destroy the ideal world of humanism. Like the German tribes who invaded Classical Rome, Luther, a fanatical man of action, was about to unleash a grassroots national movement of irresistible force, overrun the humanists and smash their internationalist dreams. Before humanism had truly begun its task of building universal concord, the Reformation brought its hammer down on the Eclessia universalis, thus shattering the last vestige of spiritual unity in Europe.”

This new CD-Book project initially grew out of the idea for an ambitious tribute to this exceptional humanist, articulated through the living dialogue of texts and music from the period, placed in their historical context. We reproduce Erasmus’s own words, with texts drawn from his correspondence and a number of his most important writings. Apart from Erasmus himself, we shall also hear the voices of Folly, Thomas More and Luther. On the 3 CDs accompanying this book, the texts heard in dialogue with music of the period are spoken by: Louise Moaty (Folly) in French, Marc Mauillon (Erasmus and the Adages) and René Zosso (Thomas More, Machiavelli and Luther). All the texts, with the same musical accompaniment, will also be published on the Internet in another six European languages: German, English, Spanish, Catalan, Dutch and Italian. Finally, for those who are only interested in listening to the music, we are releasing another 3 CDs featuring all the music without the spoken texts. The texts on Folly are accompanied by improvisations, variations and vocal or instrumental adaptations on the musical theme of folly, while in CDs 2 and 3 our tour of the landmark events in the life and times of Erasmus are accompanied by pieces by Dufay, Josquin, Sermisy, Lloyd, Isaac, Du Caurroy, Moderne, Morales and Trabaci, as well as anonymous pieces from the Western, Sephardic and Ottoman traditions.

We strongly believe that the ideas of this great humanist, his critical reflections and philosophical thought continue to be an essential source of humanistic and spiritual wisdom, and, even after 500 years, are still surprisingly relevant, as were the prescient words of his great friend, the remarkable intellectual Thomas More, from his book Utopia: “Wherever there is private property, and everything is measured in terms of money, one will never achieve justice and social prosperity, unless you consider as just the kind of society where the wickedest people have the best share, and you regard as perfectly happy a State in which public wealth is in the hands of a tiny minority of insatiable individuals, while the majority is a prey to poverty.” This exact description of the crisis currently gripping Europe and the world, written five centuries ago, shows how the study and knowledge of these great humanist thinkers can help us to reflect on our human destiny and seek out new paths of dialogue, justice and peace. Their ideas are an early blueprint, still not fully realised today, of a European Union bound together by a shared culture and civilization: a united Europe capable of developing according to a moral ideal that soars beyond merely economic or territorial interests.

JORDI SAVALL


Bellaterra, Autumn 2012

Translated by Jacqueline Minett

 

 

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