*
 Extrait du livret / From the liner notes


Alia Vox
AVSA9884 (A + B)



Code-barres / Barcode : 7619986398846

English version - click here


MADRIGALI GUERRIERI ET AMOROSI

Parmi les huit livres de madrigaux publiés en un demi siècle par Monteverdi entre 1587 et 1638, le dernier occupe une place très particulière. Imprimé en un temps où l’art vocal du madrigal – généralement à cinq voix –, qui, en cent ans, s’était répandu non seulement dans toute l’Italie mais également au nord des Alpes, avait depuis longtemps dû céder sa position dominante à des formes moins denses comme la cantate ou le duo, ce recueil apparaît comme une sorte d’épode au temps passé; avec sa conception nouvelle du phrasé entièrement basée sur des réflexions philosophiques, il prépare le terrain à un langage musical axé sur l’émotion qui était appelé à marquer toute une époque. Une dernière fois il rend hommage à la magnifique tradition littéraire italienne tout en reflétant déjà par le caractère somptueux et grandiose des compositions le goût musical de la cour impériale de Vienne. Car le huitième livre de madrigaux de Monteverdi est dédié à l’empereur – même si à cause de l’histoire quelque peu troublée de son écriture on ne sait toujours pas très bien de quel empereur il s’agit exactement. A l’origine, Monteverdi avait pensé dédier son recueil de madrigaux à l’empereur Ferdinand II, commandant en chef de la ligue catholique pendant la guerre de trente ans. Lorsque celui-ci mourut, en 1637, alors que l’œuvre se trouvait justement sous presse, son fils lui succéda sous le nom de Ferdinand III. Monteverdi changea alors sa dédicace et déposa, comme il le souligne dans son avant-propos, « aux pieds du fils un cadeau initialement prévu pour le père ».

Ferdinand II ou III est ainsi le dédicataire de nombreuses compositions ; on peut y voir un exemple des principales conceptions du compositeur tant au niveau musical qu’au niveau philosophique.

Monteverdi a donné à son huitième livre de madrigaux le titre de « Madrigaux guerriers et amoureux » et a écrit, parallèlement à sa dédicace, un avant-propos dans lequel il expose ses conceptions artistiques. La colère, la retenue et l’humilité constitueraient ainsi selon Monteverdi les principales émotions de l’âme humaine, à la rencontre desquelles le compositeur doit avancer par une écriture à la fois violente, retenue et souple.

Alors que pour ces deux dernières émotions, de nombreuses possibilités d’expression étaient déjà exploitées, Monteverdi, après avoir longuement étudié la philosophie des Anciens et la métrique classique, a été à l’origine d’un langage musical spécifique, le « genre concitato » qui exprime la colère par le rapide martèlement d’une même note. Monteverdi réglait rythme et trémolos de son répété sur les pyrrhiques dansées par les guerriers grecs en armes et considérait ce contenu identique au « genere da guerra » fréquemment employé pour les thèmes guerriers.

Dans le premier madrigal du recueil : Altri canti d’amor il démontre à quels effets de contraste peut aboutir le « genere concitato » : les voix, les violons et même la basse continue traduisent par de rapides répétitions de notes l’irruption de « Mars furieux » dans l’idylle du début ; et dès qu’ils est question dans la suite de l’œuvre de « bataille » ou de « guerrier », c’est justement le « genre concitato » qui domine la composition. La deuxième partie très dense, écrite pour six chanteurs et six cordes traduit le tumulte guerrier et constitue à l’évidence un hommage à l’empereur Ferdinand.

Les Hauts Faits de Ferdinand, sont ainsi au centre du ballo qui clôt la première partie du huitième livre de madrigaux, intitulée « Madrigaux guerriers ». Les ballets de cour qui séduisaient les courtisans par une légère fiction allégorique étaient apparus à la Cour de France et le librettiste du Ballo, Ottavio Renucci, avait composé son poème plus de trente ans auparavant pour le roi de France Henri IV. Les hommages à un monarque, qui ne s’appuyaient pas sur des événements concrets, se prêtaient en effet aisément à la transposition. Ainsi les nymphes de la Seine sont ici devenues celles du Danube et interprètent, à l’invitation du poète, une série de danses en l’honneur de l’Empereur. Monteverdi a bien sûr également utilisé le « genre concitato » dans un contexte moins évident que l’hommage à un chef de guerre. Dans le grand madrigal en deux parties sur un sonnet de Pétrarque Hor que il ciel e la terra e’l vento tace, les violons illustrent l’atmosphère désespérée – décrite comme « une guerre pleine de rage et de douleur » du thème lyrique dont la fièvre intérieure forme un contraste très vif avec la sérénité de la nature vespérale précédemment magistralement campée par le compositeur. Il semble que Monteverdi ait précisément voulu illustrer dans ce madrigal les trois stades de l’émotion – le « genere molle » dans les répétitions lentes et souples du début, le « genre concitato » par le terme de « guerra » et enfin, le « genere temperato » à la fin de la deuxième partie par exemple, où la ligne mélodique se déroule sur le mot « lunge » (loin) à partir d’une déclamation plutôt monocorde et toujours entamée sur la même note d’attaque.

Dans Gira il nemiro insidioso amore, pièce en six parties pour une à trois voix qui se dérobe à toute classification, Monteverdi joue de façon très délicate et spirituelle avec la notion de « genre concitato ». Car l’ennemi qu’il s’agit de combattre avant qu’il ne remporte une victoire absolue n’est autre que le dieu de l’amour qui, avec ses flèches mortelles conquiert de haute lutte la forteresse du cœur.

Dans les Madrigali amorosi, la deuxième partie du livre VIII des madrigaux, Monteverdi propose des sons plus doux. Altri canti di Marte – avec ce poème de la plume de Gianbattista Marino, il reprend le fil qu’il avait déroulé dans le sonnet d’ouverture de la première partie de Altri canti d’Amor. Certes il s’agit ici d’une guerre mais les armes en sont deux beaux yeux et en lieu et place de flots de sang coulent des flots de larmes amères. Dans une composition identique, sans toutefois employer dans les basses le même effectif que dans l’hommage à l’empereur, Monteverdi traduit l’effet de l’amour qui permet d’adoucir les sons guerriers et de les transformer en chant amoureux.

L’œuvre cependant par laquelle Monteverdi a peut-être le plus influencé ses successeurs sans pour autant qu’aucun d’entre eux ait jamais pu atteindre une intensité émotionnelle comparable, figure dans les Madrigaux Amoureux et fait partie des pièces de style figuratif qui entrecoupent les airs comme autant de petits épisodes et que Monteverdi avait mentionnés dans le titre de son huitième livre de madrigaux. (Oppuscoli in genera rappresentativo, che saranno per brevi Episodi fra i canti senza gesto).

Pour ce Lamento della ninfa dans lequel une nymphe accompagnée d’un trio de voix d’hommes pleure la perte de son amant infidèle, Monteverdi choisit de calquer le tempo sur le propre rythme de l’âme en souffrance plutôt que d’employer un tempo mesuré. Sur un ostinato du quatuor de basses qui pour Bach, Schubert et Mozart constituera encore l’expression même de la plainte, la nymphe chante sa douleur, entourée de deux trios qui racontent son histoire .

Dans cette œuvre, Monteverdi, qui revendiquait la paternité du « genre concitato » trouve dans le domaine des émotions une nouvelle forme d’expression musicale et pose une relation entre la voix et les instruments qui renvoie tout compositeur à une longue série de nobles exemples : la musique ou le langage même de l’amour.

SILKE LEOPOLD


Traduction : Marie Costa

 
ENGLISH VERSION

 

MADRIGALI GUERRIERI ET AMOROSI

Among the eight books of madrigals published by Monteverdi between 1587 and l638, the last collection occupies a very special place. This collection, printed when the art of the madrigal, generally in five voices, which had indisputably reigned during at least one century over Italy and also north of the Alps, had finally relinquished its prominent position to lighter genres such as duets and cantatas, seems to be a farewell to the past; with its innovative phrasing grounded in philosophical views, it clears the way for a musical language focusing on the emotions which was to put its stamp on musical creation for a very long time.

It pays a final tribute to the magnificence of Italian literature, while already reflecting through sumptuous and imposing compositions the musical taste of the Viennese Imperial court.

This eighth book is dedicated to the Emperor, even if, given its troubled genesis, we still cannot be sure to which Emperor exactly. Monteverdi intended at first to dedicate his madrigal collection to Emperor Ferdinand the Second, leader of the Catholic league during the Thirty Years’ War. When the monarch died in 1637, while the work was still in press, his son succeeded him as Ferdinand the Third. Consequently, Monteverdi changed his previous dedication, placing as he explained in the foreword “at the son’s feet a present initially intended for the father”

Many compositions are dedicated to Ferdinand the Second or Ferdinand the Third. This approach illustrates the composer’s views both at the musical and the philosophical level.

Monteverdi entitled his eighth book of madrigals Madrigali Guerrieri et Amorosi (War and Love Madrigals), and wrote beside his dedication a foreword explaining his artistic views. In his view, anger, reserve and humility are the main emotions of the human soul, which the composer must express by a now violent, now restrained, now flowing writing. Many expressive means already existed which aimed to imitate reserve and humility. After thoroughly studying the Ancients’ philosophy and also classic metrics, Monteverdi invented a specific musical language, the “genere concitato”, which expresses anger by a rapid hammering out of the same note. Monteverdi regulated rhythm and tremolos of this repeated sound according to the pyrrhics danced by the ancient Greek warriors in arms. He considered this content as identical to the “genere da guerra” already widely used to illustrate war themes.

In the first madrigal of the collection, Altri canti d’amor, he demonstrates the contrasting effects which can be obtained by the “genere concitato”: voices, violins and even continuo express through the rapid repetition of the same notes the irruption of “Marte Furioso” (Furious Mars) in the opening romance. As soon as a “battle” or a “war” is mentioned in the text, the “genere concitato” dominates the composition.

The second part, which is very dense, is written for six singers and six strings in order to imitate the tumult of war and obviously constitutes a homage to Emperor Ferdinand.
“Ferdinand’s Feats” are the very focus of the “Ballo” which ends the first part of the eighth madrigal book entitled Madrigali Guerrieri (War Madrigals) The Court Ballets charmed the courtiers with their light allegorical stories. The genre appeared first at the Court of France and the Ballo’s librettist, Ottavio Renucci, composed this poem for the French King Henry the Fourth more than thirty years earlier.

As homages to monarchs did not refer to concrete and real events, they lent themselves easily to transposition.

Thus, the nymphs of the Seine turn into the nymphs of the Danube and perform at the poet’s invitation a range of dances in honour of the Emperor. Monteverdi also used the “genere concitato” for less obvious purposes than a homage to a war leader. In the great madrigal in two parts composed on a sonnet written by Petrarch “Hor che il ciel e la terra e’l vento tace”, the violins illustrate the despairing atmosphere – described as a “war full of rage and pain” – of the lyric theme whose inner fever violently contrasts with the serenity of evening nature, previously described in a masterly way. Monteverdi probably intended to illustrate in this madrigal the three steps of emotion – the “genere molle” in the slow and soft repetitions of the beginning, the “genere concitato” by the term “guerra” (war) and finally the “genere temperato” at the end of the second part, for instance, when the melody unfolds, based on the word “lunge” (far) through a declamation which always starts with the same note.

In “Gira il nemico insidioso amore”, a work in six parts for one to three voices, which defies all classification, Monteverdi explores with delicacy and wit the concept of “genere concitato”. The enemy, who must be fought before he wins an absolute victory, is the god of love who conquers the heart’s fortress with his fatal arrows.

In the Madrigali Amorosi (Love Madrigals), the second part of the book of madrigals, Monteverdi uses softer sonorities. “Altri canti di Marte”: with this poem written by Gianbattista Marino, Monteverdi picks up the thread he had used in the opening sonnet of the first part of “Altri Canti d’Amor”. A battle is indeed described, but now the weapons are two beautiful eyes, and bitter tears flow instead of streams of blood.

In an almost identical composition, in which, however, the bass strings employed for the homage to the Emperor are missing, Monteverdi shows how love calms the tumult of war and turns it into a love song.

The work by Monteverdi which had the greatest influence on his successors, although none of them achieved a comparable emotional intensity, belongs to the “Madrigali Amorosi” and to the figurative pieces which intersperse the arias like so many small episodes and which Monteverdi mentioned in the title of his eighth book of madrigals “Opuscoli in genere rappresentativo che saranno per brevi episodi fra i canti senza gesto”.

For this “Lamento della Ninfa” in which a nymph accompanied by a trio of male voices laments the loss of her unfaithful lover, Monteverdi models the tempo on the inner rhythm of the suffering soul rather than using a regular beat. Above a bass quartet ostinato, which for Bach, Schubert and Mozart was to remain the true expression of complaint, the nymph sings her sorrow, surrounded by two trios which tell her story.

In this work, Monteverdi, who claimed the authorship of the “genere concitato”, found a new form of musical expression in the realm of the emotions, creating a relationship between voice and instruments which refers composers to a long line of noble examples: music as the true language of love.

SILKE LEOPOLD


Translated by Marie Costa

 

Sélectionnez votre pays et votre devise en accédant
à Presto Classical
(Bouton en haut à droite)

Livraison mondiale



 

Choose your country and curency when reaching
Presto Classical
(Upper right corner)

Worldwide delivery

 

  

Cliquez l'un ou l'autre bouton pour découvrir bien d'autres critiques de CD
 Click either button for many other reviews