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 Extrait du livret / From the liner notes


Alia Vox
AVSA9876



Code-barres / Barcode :
7619986398761

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« Elle chante comme une alouette, danse comme une pensée, et tourbillonne comme une fille perdue »

Miguel de Cervantès, Don Quichotte (2ème partie, chap. XLVIII)
« Bonne vie, bonne vie,
cette vieille est la Chaconne.
Des Indes jusqu’à Séville
elle est arrivée par la poste. »

Lope de Vega, L’amant reconnaissant (Acte II)

Comme la Chacona appelée par Miguel de Cervantès « cette mulâtresse indienne » (La Ilustre Fregona), la grande majorité des musiques qui ont vu le jour à partir de la « découverte » et de la conquête du Nouveau Monde, conserve cet extraordinaire mélange d’éléments hispaniques et créoles influencés par les traditions indigènes et africaines. Continuation du premier projet Villancicos y Danzas Criollas; De l’Ibérie ancienne au Nouveau Monde, cette nouvelle sélection de « Sones et Folías Criollas » à chanter et danser a été réalisée cette fois avec la participation de Montserrat Figueras et les collaborateurs essentiels de La Capella Reial de Catalunya, d’Hespèrion XXI mais aussi avec celle de différents musiciens invités d’Argentine, de Colombie, du Venezuela ainsi que le Tembembe Ensamble Continuo du Mexique.

Nous avons découvert l’existence de ce groupe à la fin de 2007, durant la préparation et les pourparlers concernant les musiques pour la projection du film « El Baile de San Juan » avec son metteur en scène Francisco Athié. Leurs interprétations nous ont séduits, aussi quand quelques mois plus tard nous avons été invités à participer au Festival « Cervantino » lors d’un projet de collaboration entre la Catalogne et le Mexique, nous avons proposé leur participation avec un programme sur les sones et les danses de La Route du Nouveau Monde. Nous avons présenté cette réalisation à Guanajuato (18 octobre 2008), Barcelone (7 janvier 2009) et à Fontfroide (1er août 2009) où nous avons enregistré la plus grande partie de ce disque, le complétant en janvier 2010 dans la Collégiale de Cardona.

L’écoute de ces Sones y Folías Criollas, interprétés dans une grande variété de rythmes et de mélodies, d’instruments anciens et populaires, de vieilles chansons et de paroles nouvelles produit en nous des émotions et un vécu très proches de ce que l’on peut expérimenter la première fois que l’on se rend dans l’une ou l’autre des villes historiques d’un pays sud-américain. C’est le sentiment impressionnant de faire un voyage dans le temps, sans cesser de vivre le présent. Se promener à travers les rues d’un petit village situé à une centaine de kilomètres de Bogotá (à l’automne 1970) fut une surprise en découvrant l’existence d’un lieu et d’une société qui conservaient parfaitement l’atmosphère d’un village andalou du début du XVIe siècle.

N’oublions pas, comme nous le rappelle Antonio Garcia de León Griego, dans son ouvrage approfondi « La Mer des rencontres », que depuis l’Andalousie et passant par les Iles Canaries, c’est une société complexe qui débarqua dans le Nouveau Monde. Elle se composait de marins et de soldats, de nobles et de religieux, de musiciens et de commerçants, d’aventuriers et d’esclaves africains et de toutes sortes d’individus avides de richesses rapides et faciles. Ceci produisit un grand métissage culturel et surtout linguistique, avec l’adoption d’éléments autochtones, particulièrement reflétés dans les musiques et dans les langues utilisées au cours de la conquête postérieure de l’ensemble du continent. Au fur et à mesure que les conquistadors entraient davantage au cœur de ce « Nouveau Monde » totalement inconnu, ils intégraient à leurs musiques la majeure partie des influences locales et à leur langage courant les dénominations originales des langues autochtones, surtout les noms des objets, des animaux et des plantes, des rites et des coutumes propres à ce nouveau monde. La consolidation de la conquête de ces territoires tellement immenses se réalisa par une intense exploitation et un esclavage généralisé, en détruisant ainsi un véritable Paradis sur Terre qu’étaient toutes les îles des Caraïbes de même que les cultures et les langues très anciennes qui perduraient sur tout le continent jusqu’à l’arrivée de Christophe Colomb. Un demi-siècle seulement après la « découverte », pratiquement toutes ces langues – d’origine arahuaco, tupo-guarani ou Chibchas– s’étaient éteintes sur les îles des Caraïbes, en même temps que leurs habitants. Les rares langages ayant survécu se transformèrent en parlers et en musiques créoles, à travers leur contact avec la langue, la musique et les traditions des conquistadors.

Ce projet souhaite contribuer à la récupération et à la diffusion de la mémoire des musiques « survivantes » conservées depuis des temps reculés en étant restées vivantes – dans des zones souvent éloignées des grandes villes –. Il est aussi un hommage sincère à tous ces hommes et ces femmes, presque toujours anonymes qui, par leur sensibilité, leur talent musical et leur grande capacité à transmettre, ont contribué à leur survivance jusqu’à nos jours. Les Sones et Folias criollas de ce Nouveau Monde nous montrent un dialogue fascinant entre, d’une part, ces musiques « survivantes » dans les traditions orales Llaneras, Huastèques et dans d’autres répertoires métissés et anonymes qui furent influencés par les cultures nahuatl, quechua et africaine et d’autre part, les musiques historiques conservées dans les manuscrits et les éditions d’époque, se trouvant dans la vieille et la nouvelle Espagne de la Renaissance et du Baroque. Ce dialogue restera toujours actuel grâce au talent d’improvisation et d’expressivité, grâce à la rigueur et à la fantaisie musicale de tous les interprètes de ces deux mondes qui croient au pouvoir de la musique en la conservant et en l’utilisant pour sa beauté, son émotion et sa spiritualité comme l’un des langages les plus essentiels de l’être humain.

JORDI SAVALL
San Francisco, 17 mars 2010
Traduction : Irène Bloc

 

 
ENGLISH VERSION

 

“Canta como una calandria, danza como el pensamiento, baila como una
perdida”


“She sings like a lark, dances like thought, and capers like a wild thing.”
Miguel de Cervantes; Don Quixote (Part 2, Ch. XLVIII)
“To the good life, the good life,
This old lady is the Chacona.
From the Indies to Seville
She has come by packet boat.”

Lope de Vega, El amante agradecido (The grateful lover) (Act II)

Like the Chacona, described as an “American mulatto” by Miguel de Cervantes (La Ilustre Fregona), the great majority of musical forms which evolved after the “discovery” and the conquest of the New World retain that extraordinary mixture of Hispanic and Creole elements influenced by indigenous and African traditions. Following on from our earlier project Villancicos y Danzas Criollas; De la Iberia antigua al Nuevo Mundo, this new selection of “Sones y Folías Criollas” for singing and dancing has been recorded in conjunction with Montserrat Figueras and the instrumentalists and vocalists of La Capella Reial de Catalunya and Hespèrion XXI, as well as a number of guest musicians from Argentina, Venezuela, Colombia and Mexico, including Tembembe Ensamble Continuo.

We discovered the existence of Tembembe Ensamble Continuo at the end of 2007, during our preparation and discussions about the choice of music for the film El Baile de San Juan with the director Francisco Athié. We were impressed by their performance, and when a few months later we received an invitation to appear at the Festival Cervantino as part of a joint project between Catalonia and Mexico, we proposed working together on a programme of sones and dances from The Route of the New World. We presented the project in Guanajuato (18 October, 2008), Barcelona (7 January 2009) and Fontfroide (1 August 2009), where we finally recorded most of the tracks on this album, which was completed at the Collegiate Church of Cardona in January, 2010.

As we listen to these Sones and Creole folias, old songs with new words performed in a wide variety of rhythms and melodies on early and popular instruments, our feelings and emotions are akin to those experienced when travelling for the first time to an historic city of a Latin American country: we have the overwhelming sense that we are travelling back in time whilst still living in the present. Strolling along the streets of a small town a hundred kilometres or so from Bogota (in the autumn of 1970), we were amazed to come across a place and a society which perfectly preserved the atmosphere of an early 16th-centuryAndalusian town.

Let us not forget, as Antonio García de León Griego points out in his profound study “The Sea of Encounters”, that a complex society made up of sailors and soldiers, nobles and religious, musicians and traders, adventurers and African slaves, and all kinds of people hoping to get rich quick, made its way to the New World from Andalusia via the Canary Islands, which was to result in a great cultural and, above all, linguistic melting pot, with the adoption of indigenous elements which are particularly evident in the music and the languages used during the subsequent conquest of the whole continent. As the conquistadores advanced further into this totally unknown “New World”, they gradually incorporated into their own music the great majority of local influences that they encountered, just as they incorporated into their everyday language the original names in the indigenous languages for the objects, animals, plants, rituals and customs of the New World. The conquest of those vast territories was consolidated by means of intense exploitation and wholesale enslavement, destroying in its wake the true Paradise on earth of the islands of the Caribbean and all the ancient cultures and languages that had survived throughout the continent until the arrival of Christopher Columbus. Only half a century after the “discovery”, almost all of those languages – of Arawak, Tupi-Guarani and Chibcha origin – had disappeared from the Caribbean islands along with the peoples who spoke them. The few musical forms and languages that did survive evolved into Creole forms as a result of their contact with the language, music and traditions of the conquistadores.

The present project, whose aim is to contribute to the rediscovery and dissemination of music which has been kept alive for centuries, often in regions remote from the major towns and cities, is also a sincere homage to all the men and women, most of them anonymous, whose sensitivity and musical talent, as well as their great capacity for transmission, have contributed to that music’s survival to the present day. The Sones and Creole Folías of this New World reveal a fascinating dialogue between the music that “survived” in the Llanero and Huasteco oral traditions and in the anonymous mestisso folk repertoires, influenced by the Nahuatl, Quechua and African cultures, and the historical music from the Renaissance and Baroque periods preserved both in manuscript and printed form in Old and New Spain. It is a dialogue which will never grow stale, thanks to the improvisational and expressive talent, together with the musical discipline and imagination of all the musicians from the old and the new worlds who believe in the power of music, give it life and continue to use that music which, thanks to its beauty, emotion and spiritual dimension, constitutes one of the most essential languages known to humanity.

JORDI SAVALL


San Francisco, 17 March, 2010


Translated by Jacqueline Minett

 

 

  

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