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Auteur: Jordi Savall
Un voyageur exceptionnel à la
recherche de lumière et de joie
Le fait
que le premier voyage important en solitaire du jeune Mendelssohn à l’âge de 21
ans, commence par une visite chez Goethe à Weimar, nous permet d’imaginer que ce
voyage qu’il entreprend vers la découverte tant attendue de l’Italie, s’inspire
de celui que Goethe avait fait dans ce même pays quarante-cinq ans plus tôt et
qu’il a raconté dans son Italienische Reise. Ce qu’il nous dit à la fin de sa
première lettre du 21 mai 1830, à propos de cette visite est à la fois très
éclaircissant et bouleversant : « Il faudrait que je fusse un insensé pour
regretter le temps que j’ai passé avec lui. Aujourd’hui je dois lui jouer du
Bach, du Haydn et du Mozart, et le conduire ainsi jusqu’à nos jours, comme il le
dit lui-même. Du reste j’ai fait en conscience mon métier de voyageur ». Avec
ces propos, il affirme sa volonté de se confronter aux autres, aux évènements
d’autrefois, et aussi à la modernité de son temps.
«
Mendelssohn venait d’accomplir sa vingt et unième année, (nous raconte
Abraham-Auguste Rolland dans sa préface à la première édition française des
lettres de Mendelssohn, publiée en 1864) lorsque son père, riche banquier de
Berlin, homme distingué tant par l’intelligence que par le cœur, résolut de lui
faire faire ce voyage qui marquât, pour ainsi dire, l’époque où le jeune homme
prenait la robe virile. “Va lui, dit-il, visite l’Allemagne, la Suisse,
l’Italie, la France et l’Angleterre ; étudie ces différents pays et choisis,
pour t’y fixer, celui qui te plaira le mieux ; fais aussi connaître ton nom,
montre ce dont tu es capable, afin que, là où tu t’établiras, on te fasse bon
accueil, et qu’on s’intéresse à tes travaux”. » Mendelssohn partit donc en mai
1830 et ne revint qu’en juin 1832, après avoir entièrement rempli le programme
tracé par son père.
Grand
voyageur, comme l’ont été historiquement tant d’autres artistes, Mendelssohn
nous montre dans ses lettres une élévation d’âme peu commune ; tout ce qui est
faux, vulgaire ou bas le révolte ; le mensonge et l’injustice lui font horreur.
N’oublions pas qu’à dix-huit ans, il avait déjà composé sa merveilleuse
ouverture du Songe d’une nuit d’été, et que sa riche maturité d’esprit pour
quelqu’un de son âge, lui faisait sentir probablement le besoin de se confronter
à l’altérité. Peut-être aussi parce que, comme le rappelle Montaigne (lui aussi
voyageur d’Italie, d’Allemagne et de Suisse), partir à la rencontre de l’autre,
c’est aller à la rencontre de soi pour se transformer. Désirs de vérité et
d’authenticité, qui se manifestent si clairement dans les paroles qu’il écrit à
ses parents, en revenant d’une promenade au Ponte Nomentano dans les environs de
Rome : « C’est là qu’il faut aller chercher la musique, c’est là qu’on l’entend
retentir de toutes parts, et non dans les salles de spectacle aussi vides
qu’insipides. »
C’est
durant ces deux années de son intense voyage, qu’il adresse à sa famille et à
ses amis ses nombreuses lettres, des réflexions et des commentaires qui nous
permettent d’assister à cette phase d’éclosion où le talent de l’artiste se
développe au contact de mondes complètement nouveaux. Comme nous le dit Nicolas
Dufetel, « Voyager dans l’espace, c’est voyager vers un ailleurs mais aussi dans
le temps. Et aller vers le sud (car c’est la direction du Grand Tour), c’est,
comme vers l’Orient, aller vers le passé. Inversement, l’Occident, en suivant la
voie du soleil et de sa lumière, c’est l’avenir. » Sous ses yeux, on y voit
passer successivement les plus beaux sites de chaque pays, les plus grandes
figures du temps et de l’art, la littérature et la politique, les théâtres et le
monde, la ville et la cour, et comme le souligne Rolland, « enfin, spectacle
plus touchant et plus rare, on y voit à nu le cœur d’un grand artiste… Doué d’un
vif sentiment des beautés de la nature, c’est dans la contemplation de la mer et
des cimes alpestres que Mendelssohn cherche l’inspiration ; il remplit son âme
des chefs-d’œuvre de la création, afin de pouvoir à son tour créer des
chefs-d’œuvre. »
Ce qui
nous amène à ce chef-d’œuvre qui est sa Symphonie « Italienne », si pleine de
luminosité, de joie, de poésie et d’aisance. Toutes des qualités qui coïncident
avec les qualités de l’art de William Turner et sont aussi les traits communs
des deux artistes, puisque tous les deux ont été touchés et inspirés par leur
rencontre avec la culture italienne durant leurs voyages respectifs. Turner,
déjà âgé de 65 ans, voyage en Italie entre les années 1820 et 1829, tandis que
le jeune musicien de 21 ans, le fait entre octobre 1830 et juillet 1831. C’est
extraordinaire de constater jusqu’à quel point la fascination pour un pays et
pour sa culture, aide William Turner et Felix Mendelssohn, deux artistes
d’origines, de cultures et d’expressions artistiques si contrastées et
différentes comme le sont la peinture et la musique, à réussir dans un art
sublime et imprégné de beauté et d’expressions intenses.
Durant ces
années d’immersion dans le riche et complexe univers de la vie de Felix
Mendelssohn, si on est admiratif de l’extraordinaire qualité et beauté de sa
musique, on reste confondu de la maturité d’esprit, de la rectitude de jugement
et du rare bon sens que ses lettres révèlent. Durant l’étude de la partition de
cette Symphonie « Italienne », je me suis souvent demandé comment cette
particulière relation entre le voyage et la créativité, pouvait favoriser
l’imagination musicale. Pendant l’étude et la préparation finale de cette
symphonie, et spécialement durant nos Académies Professionnelles, cette relation
m’a encore plus particulièrement intéressé, très conscient qu’elle pouvait
beaucoup nous aider à comprendre à quel point ces nouvelles expériences et
rencontres auraient pu être source inspiratrice d’un jeune Mendelssohn de 24
ans. J’étais convaincu qu’approfondir au cœur de ces mêmes sources d’inspiration
pouvait aujourd’hui nous aider à dégager de nouveau toute la lumière, la joie et
la poésie contenues dans les deux versions, – celle de 1833 et la finale de 1834
– de cette rayonnante Symphonie « Italienne », qui nous touche toujours si
profondément.
JORDI
SAVALL
Bellaterra,
3 juillet 2023
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