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Auteur:
Joan Vives
UN ORATORIO TRÈS PERSONNEL À la fin du mois de mai 1723, Jean Sébastien Bach obtenait finalement la charge de kantor des quatre églises du centre historique de Leipzig. Il n’avait pas été le gagnant initial du concours à ce poste, mais finalement les premiers qualifiés, Georg Philipp Telemann et Christoph Graupner, avaient renoncé à la charge pour des motifs variés, laissant ainsi la voie libre à Bach, qui était le qualifié suivant. À ce moment commence la dernière étape de sa vie, sans doute la plus intense du point de vue de la création. En effet, dans les six années qui suivirent, Bach doit se confronter au labeur conséquent de composer quatre cycles complets de cantates pour toute l’année liturgique. Comme effets pratiques, ceci voulait dire, la composition annuelle d’une soixantaine de cantates, correspondant à tous les dimanches et jours de fête. C’était une tâche importante qu’il fallait par ailleurs rendre compatible avec ses responsabilités de directeur des services liturgiques à la tête du chœur de la Thomaskirche. Après ces six premières années, Bach semble entrer dans une seconde période créative. Il a réussi, d’une part, à terminer un nombre suffisant de cantates garantissant plus ou moins les besoins musicaux liturgiques des années suivantes (pendant lesquelles il n’écrirait qu’un cinquième cycle complet). Il a ainsi composé un total d’environ trois cents cantates, dont un peu plus de 60% a été conservé. D’autre part, il est probable que ses relations –pas très faciles – avec les autorités ecclésiastiques de cette communauté luthérienne l’avaient aussi amené à un certain découragement. Tous ces éléments eurent sûrement leur poids lorsqu’en 1729 il accepte le nouveau poste de directeur du Collegium Musicum, fondé en 1704 par Georg Philipp Telemann. Il s’agissait d’un orchestre amateur composé principalement d’étudiants de l’Université de Leipzig, qui répétait dans l’une des salles du Café Zimmermann, situé en plein centre-ville et toujours bondé. Jusque-là, une grande partie de l’énergie créatrice de Bach était allée dans ses compositions de partitions liturgiques, mais maintenant il s’orientait vers la préparation d’un nouveau répertoire pour le Collegium Musicum, principalement des œuvres orchestrales. Et souvent il adaptait des compositions antérieures, écrites dans les années où il travaillait comme kapellmeister au service du prince Léopold de Köthen. La plupart du temps, il s’agissait de concertos pour violon ou hautbois soli (dont beaucoup sont maintenant perdus), qui à Leipzig devinrent des concertos pour clavecin et orchestre. Bien sûr, pour des occasions spéciales, Bach composa la plupart des nombreuses cantates que nous connaissons maintenant comme Cantates Profanes, souvent composées à l’occasion d’événements importants pour la ville de Leipzig : des fêtes ou des visites de certains membres de la famille d’Auguste le Fort de Saxe. L’ORATORIO DE NOËL Pour la célébration des fêtes de Fin d’année de l’hiver 1734-1735, Bach décida d’écrire un cycle de cantates destinées aux besoins liturgiques de cette période. Cela consistait essentiellement à couvrir ce qu’étaient autrefois les sept jours principaux des célébrations, c’est-à-dire : le 25 jour de Noël, le 26 Saint Etienne, lendemain de Noël, le 27 jour de la Saint Jean l’Évangéliste, le dimanche avant la Saint-Sylvestre, le 1er janvier, le dimanche avant l’Épiphanie, et enfin le 6, jour de l’Épiphanie. En 1734, le hasard fit que le 26 fut un dimanche et Bach n’eut qu’à écrire 6 cantates au lieu de 7, pour couvrir tous les services de ces festivités. Le fait qu’il s’agissait de mouvements récupérés dans certaines des Cantates Profanes susmentionnées (qu’il avait écrites pour le Collegium Musicum dans les années précédentes) est l’un des traits les plus marquants du matériel musical utilisé par Bach dans l’Oratorio de Noël. C’est ainsi que nous pouvons entendre, distribués dans tout l’Oratorio, des fragments des cantates BWV 213 et BWV 214 écrites en 1733, mais aussi de la BWV 215 écrite quelques mois avant le Noël de cette année-là et même d’une cantate aujourd’hui perdue, à partir de laquelle il forgea, pratiquement entièrement, la dernière partie du cycle destiné à l’Épiphanie. Le double travail d’adaptation consistait naturellement à changer toute la partie littéraire, puis à adapter les parties musicales au nouveau texte liturgique. Par conséquent, nous pouvons dire que nous sommes devant un petit compendium de l’œuvre de Bach faite par Bach lui-même. La même chose se produit dans l’extraordinaire Messe en si mineur, une messe catholique solennelle avec toutes les parties de l’ordinaire liturgique, construite à partir de fragments de plusieurs cantates luthériennes que le compositeur avait écrites lors d’années précédentes. Une technique de travail dans laquelle Bach excelle grâce à sa capacité à tirer parti de l’essence fondamentale de l’expression de ces œuvres tout en ne modifiant que ce qu’il considère comme le plus circonstanciel, sans jamais perdre de vue d’un iota le résultat final. UN ORATORIO ? La structure de chacune des six cantates de cet oratorio répond au format habituel que le compositeur utilisait le restant de l’année. C’est-à-dire un chœur initial, suivi d’une sélection de récitatifs et d’airs, se terminant par un chœur/choral final. À partir de là, on peut penser qu’il s’agit simplement de 6 cantates de routine, mais grâce au librettiste, le résultat offre une grande impression d’unité globale. L’auteur était probablement le poète Picander, pseudonyme de Christian Friedrich Henrici (1700-1764), qui à l’époque travaillait au service postal de Leipzig tout en étant un collaborateur régulier de Bach. C’est lui qui écrivit les textes des passions selon Saint Matthieu, Saint Marc, l’Oratorio de l’Ascension et diverses cantates profanes comme la belle Cantate du Café, entre autres… Picander a conçu le texte de l’Oratorio de Noël dans une grande unité d’action, utilisant des fragments tirés des Évangiles pour les récitatifs et communiquant au reste de sa création propre, une grande force dramatique unitaire. C’est la principale raison qui génère le lien étroit unissant les différentes cantates, ce qui fait en sorte que la postérité s’en souvienne comme d’un Oratorio de Noël bien qu’il ne soit pas un oratorio au sens strict (tel que le genre avait été conçu en Italie au tout début du XVIIe siècle). Les cantates dont nous parlons aujourd’hui étaient souvent jouées, à cette époque, entre les deux églises les plus importantes de la vieille ville de Leipzig : la Thomaskirche et la Nikolaikirche. Certains jours, les 25 et 26 décembre, les 1er et 6 janvier, elles étaient même jouées l’une le matin et l’autre l’après-midi. LES GRANDS MOMENTS MUSICAUX La première des Cantates, prévue pour le jour de Noël, décrit la naissance de Jésus. Son premier Chœur « Jauchzet! Frohlocket! » (Réjouissez-vous, chantez de joie !), du fait de l’entrée surprenante des timbales, est sans aucun doute le moment le plus populaire de tout l’oratorio. Une page brillante où nous sommes invités à chanter la joie de la naissance de Jésus, empruntée par Bach au début de la cantate profane BWV 214. On retrouve aussi un air séduisant pour contralto « Bereite dich Zion » (Dispose, Sion), où la soliste dialogue avec le hautbois d’amour et le violon, suivi de la première citation du célèbre chœur « O Haupt voll Blut » (Oh tête ensanglantée), que Bach répète 5 fois dans la Passion selon saint Matthieu, ici intitulée « Wie soll ich dich empfangen » (Comment vais-je te recevoir ?), réfléchissant à la manière dont nous devrions recevoir l’enfant Jésus. La trompette réapparaît dans le brillant air de basse « Großer Herr, ou Starker König » (Grand Seigneur, ô roi puissant) et aussi dans le choral final « Ach mein herzliebes Jesulein » (Ah Jésus, aimé de mon cœur). La deuxième cantate, comme d’habitude pour le jour de la Saint-Étienne, décrit l’annonce aux bergers. L’élément pastoral se reflète clairement dans la Symphonie instrumentale initiale écrite, comme toutes les pastorales, sur un rythme de sicilienne, comme si elle berçait le nouveau né. Le dialogue entre le ténor solo et le traverso dans l’air « Frohe Hirten, eilt, ach eilet » (Hâtez-vous, joyeux bergers, hâtez-vous) est magnifique. L’air pour contralto « Schlafe, mein Liebster, geniesse der Ruh » (Dors, chéri, jouis du repos) invite le nouveau né à un doux sommeil grâce à la couleur du timbre du traverso et des divers hautbois. Dans l’unique chœur final « Wir singen dir in deinem Heer » (Nous chantons parmi tes troupes), Bach retrouve le rythme pastoral de la sicilienne. La troisième cantate, pour le jour de saint Jean l’Évangéliste, décrit l’adoration des bergers. Elle commence par le joyeux choral « Herrscher des Himmels, erhöre das Lallen » (Souverain du ciel, écoute les balbutiements), où Bach retrouve le son brillant des trompettes, des timbales, des flûtes traversières et des hautbois. A noter également le petit chœur des bergers, « Lasset uns nun gehen gen Bethléhem » (Allons à Bethléem), où l’agilité dépeint la précipitation avec laquelle ils veulent se rendre à Bethléem. Plus tard, nous retrouvons le duo délicieusement optimiste « Herr dein Mitleid dein Erbarmen » (Seigneur, ta compassion, ta miséricorde) où soprano et basse dialoguent avec 2 hautbois d’amour. Plus introspectif est l’air de contralto « Schliesse mein Herze dies selige Wunder » (Regarde, mon cœur, cette heureuse merveille), où cette fois le dialogue est avec le violon. Pour le choral final, Bach récupère la musique de l’ouverture. La quatrième cantate, pour le jour du Nouvel An, décrit la circoncision et le baptême de Jésus. Le chœur de rythme ternaire initial « Fallt mit Danken fallt mit Loben » (Prosternez-vous avec reconnaissance), extrait de la Cantate BWV 213, accentue son caractère solennel grâce à la présence de cors et de hautbois. L’air charismatique de soprano et de hautbois « Floßt mein Heiland » (Répands, mon Sauveur), est également issu de la Cantate BWV 213. Sa personnalité est particulièrement marquée par l’utilisation d’effets d’écho doux et charmants entre la voix et le hautbois. Dans l’air da capo pour le ténor, 2 violons et continuo « Ich will nur dir zu Ehren leben » (Je ne vis que pour t’honorer), Bach expose sa maîtrise du contrepoint avec celui à 4 voix, irrésistible et brillant. La cinquième cantate, prévue pour le premier dimanche après la Saint-Sylvestre, décrit le voyage des Rois mages. Il commence par l’imposant Chœur « Ehre sei dir, Gott gesungen » (Gloire à toi, Ô Dieu), et développe le tout avec une sensible présence chorale, faisant parfois penser, comme dans « Wo ist der neugeborene König der Jüden » (Où est le nouveau-né Roi des Juifs ?), au style utilisé par Bach dans les scènes de turbidité des passions. A noter également la couleur descriptive de certains récitatifs tels que « Warum wollt ihr erschrecken » (Pourquoi vous étonnez-vous ?), qui parle de la menace du roi Hérode, ou encore le trio de solistes « Ach, wenn wird die Zeit erscheinen » (Ah, quand viendra l’heure ?), particulièrement inspiré, une merveilleuse tresse sonore qui nous annonce que le temps de Jésus est déjà là. La dernière Cantate, consacrée à l’Épiphanie, nous décrit l’adoration du petit enfant par les Rois mages. Il commence par le brillant chœur « Herr wenn die stolzen » (Seigneur, si les orgueilleux), renforcé par l’utilisation renouvelée des trompettes. Déjà dans l’air pour soprano « Nur ein Wink von seinen » (Au signe de sa main), le pouvoir de Dieu est proclamé. Les hautbois que nous venons d’entendre réapparaîtront dans des fragments ultérieurs tels que l’aria du ténor « Nun mogt ihr stolzen » (Que peuvent l’enfer et ses terreurs ?), qui réaffirme la force et la puissance du nouveau-né. Pour le refrain final « Nun seid ihr wohl gerochen » (maintenant vous êtes bien vengés), Bach récupère la mélodie du même choral utilisé dans la Passion selon saint Matthieu, que nous avons déjà mentionné dans la première cantate, mais cette fois assaisonnée d’un prélude et d’un postlude, où l’on retrouve des trompettes et des timbales pour dire adieu à cette magnifique épopée musicale de Noël. Traduction : Klangland |
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