WUNDERKAMMERN
(Blog de Jean-Christophe Pucek
qui n'est plus accessible sur la Toile)
(01/2018)
Mirare
MIR386
Code-barres / Barcode :
3760127223870 (ID623)
Analyste: Jean-Christophe Pucek
Encore un disque
Marais ? Il est vrai que le violiste sorti du cercle confidentiel des mélomanes
avertis par la grâce d’un film au début des années 1990 n’a besoin d’aucune
commémoration pour susciter régulièrement des enregistrements, du récital
thématique ou non aux projets plus ambitieux comme l’intégrale entamée en 2017,
avec un magnifique Premier Livre, par François Joubert-Caillet pour Ricercar.
On se disait que, tôt
ou tard, l’ensemble La Rêveuse rendrait hommage à l’auteur de la pièce qui lui
donne son nom et dont il livre, pour refermer son anthologie, une lecture d’une
beauté mélancolique à faire frissonner les plus endurcis – les dernières notes,
immatérielles comme un songe qui se dissipe, vous hantent longtemps – en les
enveloppant dans ce fa mineur que Charpentier décrivait comme « obscur et
plaintif. » Florence Bolton et Benjamin Perrot, rejoints ici par Robin Pharo
pour la partie de seconde viole et Carsten Lohff au clavecin, ont pris tout le
temps nécessaire pour mûrir un projet dont on sent à chaque mesure mais
également dans chaque silence quelle importance il revêt à leur yeux ; à trois
exceptions près, le Prélude extrait du Troisième Livre sur lequel il s’ouvre et
deux transcriptions pour théorbe des Barricades mystérieuses et du Dodo de
François Couperin réalisées et interprétées avec autant de goût que de tendresse
et de sensibilité par Benjamin Perrot, le programme imaginé par les musiciens
met à l’honneur le Marais tardif, celui du Quatrième (1717) et du Cinquième
Livre (1725), que La Rêveuse, un des trop rares ensembles à avoir mesuré tout
l’intérêt qu’il y a à établir des correspondances entre musique et peinture,
rapproche pertinemment de l’univers de Watteau. Loin du caractère plutôt Le Brun
et Largillière de ses premiers recueils, le violiste, en particulier dans le
Quatrième Livre qui culmine avec les audaces de la Suitte d’un Goût Étranger,
fait montre dans certaines de ses pièces de haute maturité d’une inspiration qui
égale en singularité celle du maître des Fêtes galantes (écoutez Le Badinage à
l’atmosphère aussi peu légère, fa dièse mineur oblige, que le Pèlerinage à l’île
de Cythère, malgré ce que pourrait laisser supposer le titre de l’une et l’autre
œuvre) mais également celle de l’organiste de Saint-Gervais, instaurant des
atmosphères suspendues auxquelles leur tournure souvent légèrement estompée,
parfois ouvertement élégiaque, donne un caractère fuyant, impalpable, inattendu,
déployant un jeu de masques qui manie à plaisir l’ambiguïté, le non-dit, le
faux-semblant, l’énigme. On trouve également des scènes plus vives, plus
sensuelles, qui révèlent l’acuité du regard de Marais sur le monde, tantôt
gourmand, tantôt amusé, soucieux de pittoresque, se situant quelque part entre
Raoux, dont il partage la sensualité et l’humour assez Régence (Le Petit
Badinage, La Provençale, La Biscayenne), Chardin, si attentif lui aussi aux
scènes du quotidien et qui s’arrêtera en 1737, dans une optique certes
différente, sur Le Jeu du Volant, et Pater, auteur de plusieurs Fêtes
champêtres, d’un tempérament plus porté à la gaîté et à l’anecdote piquante que
son maître Watteau et qui poussera plus loin que lui la science du paysage.
Entre évocations subtiles et portraits artistement croqués, l’archet de Marais
souvent se fait pinceau, celui d’un peintre d’histoires.
Tous ces enjeux ont
été parfaitement compris par La Rêveuse qui livre sans doute avec ces Pièces de
viole un de ses disques les plus intensément personnels. L’auditeur, aidé par la
prise de son finement ouvragée d’Hugues Deschaux, ne peut qu’être immédiatement
saisi et, souhaitons-le, touché par le ton de confidence, n’excluant nullement
la brillance, l’énergie et le rebond lorsque le compositeur se fait plus allègre
ou plus éclatant, qui imprègne ce florilège et accroît de façon souvent
fascinante la sensation de proximité avec des œuvres notées il y a trois cents
ans. On a souvent relevé, à raison, la proximité de la viole avec la voix ; les
qualités du jeu très humain, très présent de Florence Bolton, préférant une
expressivité occasionnellement teintée d’une âpreté ou d’une fragilité
parfaitement maîtrisées à la recherche d’un son bien rond joliment uniforme,
vient la rappeler dans toutes ses dimensions, de la conversation animée au
chuchotement tremblant ou à la méditation intérieure, avec un souci constant de
la ligne, du chant et de l’éloquence. La réalisation du continuo, loin des modes
d’aujourd’hui qui le veulent foisonnant jusqu’à friser l’indiscrétion, lui
permet de jouer pleinement son rôle de soutien et d’animation sans jamais
prendre le pas sur la viole. Ce choix, tout comme celui de certains tempos et
accents (je pense, par exemple, à la première section très terrienne de la Fête
Champêtre, à la fin proche de l’amuïssement du Badinage ou à la retenue de La
Rêveuse), ne manquera pas de surprendre, voire de désarçonner ; ces partis-pris,
parce qu’ils sont pertinents et assumés avec talent, démontrent que tout est
loin d’avoir été dit dans l’interprétation de la musique de Marin Marais et que
l’on peut en défendre une approche réellement originale sans donner dans le
sentimentalisme facile ou le cabotinage creux.
Pour ma part, je place
ce récital gorgé d’idées, de nuances et de couleurs, où les musiciens de La
Rêveuse prennent le temps de laisser respirer et s’épanouir les œuvres et ne
cherchent pas à prouver quoi que ce soit sinon leur attachement au répertoire
qu’ils interprètent, tout à côté de celui enregistré en 2002 par Sophie Watillon
pour Alpha qui est, depuis sa parution, un de mes disques de chevet ; c’est
assez vous dire si je le trouve abouti et combien je vous le recommande.
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