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Analyste:
Philippe Gelinaud Bien qu'ayant droit aux honneurs de la scène un peu moins souvent que Giulio Cesare ou Rodelinda, Tamerlono est une partition exceptionnelle. Parmi ces trois chefs‑d'oeuvre créés à quelques mois d'intervalle, entre 1724 et 1725, c'est indéniablement celui au caractère tragique le plus affirmé. Le suicide de Bajazet n'y est pas pour rien, et si l'inévitable finale heureux comporte bien le pardon attendu, le choeur n'exprime aucune joie. L’ouvrage est déjà bien représenté au disque, depuis l'enregistrement de John Moriarty, en 1970 (Parnassus Records) jusqu'à la très belle reussite de George Petrou, en 2006 (MDG). Petite originalité: c'est sur la version révisée de 1731 que le violoniste Riccardo Minasi a choisi de baser son intégrale, gravée en studio, en avril 2013. Cela implique, notamment, l'inclusion d'un air spectaculaire pour le personnage secondaire de Leone, écrit à l'intention de la célèbre basse Antonio Montagnana. Cet ajout aurait dû entraîner la coupure du trio Tamerlano/ Asteria/Bajazet dans la dernière scène du deuxième acte. Mais le chef a préféré le garder. Du coup, l'air d'insertion figurant déjà dans d'autres versions, celle‑ci n'est finalement pas si différente de celles qui l'ont précédée. Comme beaucoup de chefs de la jeune génération, Riccardo Minasi a compris que l'orchestre n'était pas un simple accompagnateur, mais un protagoniste à part entière du drame. La distribution étant composée de chanteursacteurs rompus à ce répertoire, le résultat n'est pas donc pas loin de l'idéal. D'un strict point de vue vocal, Xavier Sabata est celui qui appelle le plus de réserves. Le contre‑ténor espagnol ne nous semble pas posséder la vocalité adéquate pour incarner les « méchants » haendéliens, surtout aux oreilles de ceux qu'irritent une émission artificiellement gonflée et de trop nombreux coups de glotte, Notre tyran de référence reste Derek Lee Ragin, sous la baguette de John Eliot Gardiner (Erato, 1985). Andronico, Asteria et Bajazet, les vrais personnages principaux, attirent d'autant plus l'attention qu'ils sont magistralement interprétés par Max Emanuel Cencic, Karina Gauvin et John Mark Ainsiey très probablement les meilleurs de la discographie. Nous avons régulièrement souligné, dans ces colonnes, les efforts que le contre‑ténor croate devait produire pour aborder des rôles de castrat soprano. Dans l'alto d'Andronico, écrit pour le légendaire Senesino, il est, en revanche, parfaitement à son aise. Le grave et le bas médium sonnent onctueux, le « passage » est maîtrisé, et sa facilité dans l'aigü s'épanouit dans les variations des da capos. On aimerait juste une diction plus claire. On peut, a priori, avoir en tête une voix plus lumineuse que celle de Karina Gauvin pour Asteria ‑ celle de Sandrine Piau, par exemple, plusieurs fois entendue à la scène; mais la soprano canadienne apporte à l'héroïne toute I'intensité dramatique qu'on lui connaît. Nous n'avons pas oublié l'exceptionnel ténor haendélien qu'était John Mark Ainsley il y a vingt ans, dans des tessitures plus légères (Le Resurrezione sous la baguette de Marc Minkowski, par exemple). Nous le retrouvons ici, idéalement distribué dans un emploi que l'on qualifie parfois de «baryténor», campant un Bajazet remarquable d'engagement et de finesse. Solides prestations de Pavel Kudinov et Ruxandra Donose, un peu en retrait par rapport à ce trio magistral. La mezzo roumaine, notamment, ne peut faire oublier l'extraordinaire Irene d'Anna Bonitatibus, avec Trevor Pinnock (Avie, 2002). Un bémol, enfin, pour une prise de son manquant de chaleur, qui nous empêche d'être en totale empathie avec nos héros torturés.
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